Dans la famille Bey, on n’a jamais vraiment discuté du métier. La médecine, on « vivait dedans ». Pour l’arrière-grand-père, Henri, le grand-père, Pierre, le père, Benoît, et deux des petits-enfants, Léo et Chloé, le goût s’est transmis spontanément sur quatre générations.
Que deux aient opté pour la médecine générale, un pour la cancérologie et l’autre pour l’anesthésie-réanimation, que deux se soient installés en libéral et que les autres aient préféré l’hôpital, le même fil rouge guide leur trajectoire : le contact avec le patient, le sentiment du service rendu, la satisfaction d’accompagner les gens lors des événements marquants qui jalonnent leurs vies.
Si aucun ne regrette son choix, à l’heure où le système de santé français craque, ils ont accepté de revenir sur leur métier, et d’en analyser les mutations. Entre les histoires d’Henri, partagées ou entendu raconter, et celles de Benoît, il y a plus de soixante-dix ans.
Après des études de médecine à Paris dans les années 1940, l’arrière-grand-père de la famille Bey choisit de revenir dans la petite commune de Marnay, en Haute-Saône, pour ouvrir son cabinet. Il y exerce en tant que généraliste de campagne jusqu’à sa mort, en 1988, à 73 ans. « Mon père était en service en permanence mais n’était pas du tout esclave de ça, se rappelle son fils Pierre, 77 ans, cancérologue aujourd’hui à la retraite. Ça peut paraître bizarre maintenant, on n’imagine plus un médecin qu’on puisse appeler sept jours sur sept, vingt-quatre heures sur vingt-quatre ! »
Confiance et respect
On parle là d’une autre époque. Celle où vie privée et vie professionnelle s’entremêlent naturellement. Où personne n’est surpris qu’un médecin soit dérangé au milieu de la nuit, qu’il enchaîne le lendemain avec ses consultations, qu’il ne compte pas son temps. Une époque où il est fréquent que l’épouse du généraliste – c’était le cas de la femme d’Henri – réponde au téléphone pour noter les visites et parfois « trier » les patients pendant la tournée, et prenne en charge la comptabilité du cabinet.
Dans ces années-là, quand la famille part le dimanche déjeuner chez la grand-mère, Henri fait souvent une ou deux visites en route. « On ne trouvait pas que c’était une contrainte, on attendait dans la voiture, se souvient Pierre. En tout cas, je n’en avais pas conscience, parce que mon père s’en accommodait. Jamais on ne l’entendait se plaindre. Il savait faire le tri entre l’urgent et le moins urgent, il savait combien une parturiente mettrait de temps à accoucher et à quel moment interrompre son jardinage ou sa partie de tarot ! »
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