À Romainville, en Seine-Saint-Denis, Baluchon, un traiteur dans une démarche d’insertion, est en passe de fêter ses 10 ans. L’entreprise solidaire porte beau avec ses clients de prestige, ministères et grandes entreprises, et ses 110 salariés. Plus de la moitié d’entre eux sont là pour un maximum de vingt-quatre mois afin d’apprendre ou réapprendre les métiers de la restauration, de la manutention ou de la logistique.

« L’alimentaire reste un secteur dynamique et propice à l’insertion sur le marché du travail », évoque Louise Fourquet, PDG de Baluchon. Elle a succédé à François Dechy, le fondateur, lorsqu’il a été élu maire de Romainville. « Et on avait l’intuition qu’on pouvait aller chercher des clients dans les quartiers aisés d’Île-de-France pour créer des emplois nouveaux dans les quartiers populaires. Et c’est bien ce qui s’est passé ! Des entreprises du CAC 40 ont joué le jeu, et toutes les personnes employées par Baluchon habitent le département. »

Dans les banlieues, un quart des emplois issus de l’ESS

Comme Baluchon, nombreuses sont les entreprises de l’économie sociale et solidaire (ESS) à s’installer là où les autres entreprises privées ne vont plus et où les services publics ont déserté. Elles apportent de l’activité et des emplois dans les banlieues et les territoires périurbains. ESS France, qui représente les grandes familles de l’ESS, vient de publier un état des lieux du secteur dans les quartiers de la politique de la ville (QPV). On y lit qu’un quart des emplois privés de ces banlieues sont issus des associations, entreprises d’insertion et coopératives qui s’y sont installées, alors qu’elles représentent moins de 10 % de l’emploi total en France.

Baluchon est un cas d’école. À sa création, ce sont d’abord sept habitants de Romainville qui ont ouvert, en tant que salariés en insertion, les portes de l’ancienne cuisine centrale, puis vingt, cinquante et cent, au fur et à mesure du développement, avec une diversification dans la livraison de plateaux-repas et les services directs dans des cantines d’entreprise. Au cœur de Romainville, le quartier a repris des couleurs, en même temps que la rénovation urbaine faisait son œuvre.

« On aide nos salariés à trouver un logement »

Comme toutes les entreprises d’insertion, Baluchon a bel et bien deux métiers : vendre des produits et des services, mais aussi insérer des personnes des quartiers. « Autour de l’emploi, nous avons renforcé l’accompagnement social, complète Louise Fourquet. On aide nos salariés à trouver un logement et à s’occuper de leur santé. Mais ils doivent être aussi très professionnels dans leur métier, car notre chiffre d’affaires dépend d’eux face à la concurrence de n’importe quel traiteur. »

Malgré la difficile parenthèse de la pandémie, Baluchon continue de tenir les deux bouts de sa mission. Côté social, sept personnes sur dix trouvent un emploi ou une formation à la sortie de la société ; ce chiffre était même monté jusqu’à neuf sur dix avant le Covid. Côté économique, l’entreprise a accueilli cette année de nouveaux investisseurs à impact pour poursuivre son développement.

Des microcrédits pour aider les entrepreneurs à se lancer

Cela fait déjà trois ans que Baluchon cherche à stimuler l’emploi dans les quartiers, au-delà de Romainville. L’entreprise a d’abord participé à d’autres projets d’insertion dans le département, à Montreuil, et à Lille dans les Hauts-de-France. Mais surtout, elle a créé un incubateur d’entreprises sociales en son sein.

« Notre idée est d’accueillir sans conditions tous les porteurs de projet des quartiers populaires, souligne Bao-Anh Bui, chargé de mission incubateur. Ils suivent un programme d’un an pour démarrer leur activité. Ils peuvent utiliser l’expérience qu’on a acquise à Baluchon et même tester leurs produits dans notre cuisine, entre nos temps de production. » Plusieurs dizaines de projets ont déjà été soutenus par l’incubateur et ses partenaires, publics et associatifs, certains allant jusqu’au financement. Un quart des entreprises déjà aidées ont reçu un financement de l’Association pour le droit à l’initiative économique (Adie).

Depuis plus de trente ans, l’entrepreneuriat dans les quartiers populaires est dans l’ADN de l’Adie. Aujourd’hui, un entrepreneur sur quatre financé par cette association est issu d’un quartier prioritaire. L’an dernier, l’Adie a accordé 25 000 microcrédits d’un montant compris entre 3 000 et 10 000 €.

Bien souvent en effet, les habitants des quartiers – femmes et hommes à parts égales – sont eux-mêmes à l’origine de ces entreprises de l’ESS, qui participent à la cohésion sociale. Faute d’être recrutés comme salariés malgré leurs diplômes, parfois multiples, ils créent ainsi leurs propres emplois, seuls ou avec l’aide de réseaux spécialisés : Adie, France active, Positive Planet, Réseau entreprendre.

La barrière de la langue

Pour soutenir l’entrepreneuriat dans les quartiers populaires, l’antenne Adie s’installe souvent en pied d’immeuble. Comme à Reims, au quartier Croix-Rouge. « Quand Maria Nowak a créé l’Adie, elle était convaincue qu’il y avait de l’énergie et du potentiel entrepreneurial dans les quartiers », assure Angèle Mignonac, responsable de l’Adie pour le Grand Est. « Mais on constatait aussi que les entrepreneurs n’avaient pas de capital et que l’accès aux banques était compliqué. L’Adie leur propose des microcrédits garantis par l’entourage et adossés à des banques. »

Au fil des ans, l’accompagnement s’est renforcé pour permettre à ces petites entreprises de tenir dans la durée, avec le programme « Je deviens entrepreneur ». « Les entrepreneurs des quartiers n’ont pas besoin d’un accompagnement différent des autres, précise Angèle Mignonac. Seule la barrière de la langue peut être un frein pour les primo-arrivants. Mais le plus souvent, ils viennent chez nous avec leur propre étude de marché et leurs premiers clients. »

« Je ne trouvais pas de banque »

Un portrait-robot qui correspond trait pour trait à Nadette Poné, une maman de trois enfants qui a ouvert il y a quatre ans l’onglerie Nade Nails, dans un autre quartier de Reims, Maison-Blanche. Arrivée du Cameroun il y a dix ans, et après avoir fait les trois-huit dans une usine, elle a choisi de poursuivre son rêve en créant son propre commerce, formation de prothésiste à l’appui.

« J’ai découvert l’Adie sur Internet parce que je ne trouvais pas de banque, raconte-t-elle. J’ai pu avoir un prêt de 5 000 € pour aménager mon premier local. Comme l’activité s’est développée, j’ai pu rembourser ce prêt. Je viens juste d’en avoir un deuxième de 3 500 € pour acheter du nouveau matériel. »

Et la jeune créatrice, qui travaille six jours sur sept, de 9 h 30 à 19 heures, a permis à une voisine de commencer une activité de services à la personne grâce à un prêt de l’Adie dont elle est la garante. Dans les quartiers, les habitants rendent l’économie solidaire de plus en plus visible.