Une centaine d’étudiants a pris place dans l’amphithéâtre E de la faculté de droit et sciences politiques de Nantes. Sur l’estrade, plusieurs enseignants s’apprêtent à prendre la parole. Pas pour un cours magistral mais pour leur révéler l’envers du décor : « Pour vous, tout est normal, expose Frédéric Allaire, professeur de droit public. Mais dans la salle des machines, tout dysfonctionne. Face à une charge de travail de plus en plus lourde, on ne compte plus les arrêts maladie, les dépressions et les collègues qui craquent. »

Avec près de 4 500 étudiants pour 93 enseignants-chercheurs titulaires et 45 membres du personnel administratif et technique, cette faculté présente un taux d’encadrement de 3,2 personnels pour 100 étudiants. « Cela veut dire que vous avez entre deux et trois fois moins de personnes pour vous former et vous accompagner que la moyenne nationale de l’université », poursuit Frédéric Allaire.

« Sauver notre peau »

Le 3 décembre 2021, une alerte pour danger grave et imminent sur la santé mentale des personnels de la faculté de droit a été déposée au comité d’hygiène de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) de l’université. « Ces vingt dernières années, nous n’avons cessé d’accepter de nouvelles charges de travail, raconte Paul-Anthelme Adèle, maître de conférences en droit privé. Sauf que nous en sommes à mettre en jeu notre santé. Pour sauver notre peau, nous n’avons pas d’autre choix que de baisser nos capacités d’accueil. »

Ces personnels souhaitent ainsi réduire de 25 % les effectifs étudiants en première année de licence et de master à la rentrée 2023. Une proposition inédite étudiée jeudi 10 novembre par le conseil de gestion de la faculté, et qui sera soumise aux instances de l’université, puis à la rectrice d’académie.

« Nous prenons cette décision à contrecœur, insiste Virginie Gautron, maîtresse de conférences en droit pénal et sciences criminelles. Mais la souffrance est telle que nous n’avons pas le choix. » Pendant la période des sélections à l’entrée en master, elle et ses quatre collègues doivent étudier 3 000 dossiers chacun. « Il faut rajouter à cela les centaines de copies à corriger, les directions de mémoire, la préparation des cours, les travaux de recherche, énumère-t-elle. Je ne compte plus les soirs travaillés jusqu’à minuit et les week-ends sacrifiés. »

Des budgets insuffisants

La présidence de l’université, qui a voté un budget déficitaire, assure que cette situation est « suivie avec une grande attention ». La faculté de droit vient d’ailleurs d’obtenir deux postes d’enseignant-chercheur et un poste administratif à la rentrée 2022. « Nous allons faire évoluer la situation dans les années à venir, appuie Arnaud Guével, vice-président à la formation et professeur en Staps. Mais dans une université qui a une dotation largement inférieure aux autres depuis des années, nos marges de manœuvre sont extrêmement limitées. »

Pour Tristan Poullaouec, sociologue à l’université de Nantes et coauteur de L’Université qui vient, cette situation n’est pas isolée (1). « Ces quinze dernières années, on a assisté à une forte augmentation du nombre d’étudiants en licence, dont certains ont des acquis scolaires fragiles, avec des budgets stables voire revus à la baisse », décrit-il. « La dépense par étudiant et par an s’élève à 12 000 € en prépa ou en BTS, contre 3 000 à 4 000 € à l’université. »

Quelle mobilisation étudiante ?

Du côté des étudiants, cette réduction des effectifs inquiète. Mais ils comprennent le désarroi des enseignants. « Si les enseignants ne travaillent pas dans de bonnes conditions, nos diplômes auront moins de valeur. Alors s’il faut les soutenir, je suis prête à le faire », réagit Nora, étudiante en master de droit pénal.

De là à voir les étudiants dans la rue pour réclamer des moyens ? « On n’est pas indifférent à ce qui se passe, mais on est de plus en plus désabusés, confie Baptiste, étudiant en première année de droit. On a tendance à rester dans notre petit confort, surtout depuis le Covid. C’est comme si on ne savait plus faire… »

(1)Paru en août 2022 aux Éd. Raisons d’agir.