À Marseille, les discrètes innovations de « l’école du futur »

Marseille (Bouches-du-Rhône)

De notre envoyé spécial

Surplombant la bruyante autoroute qui fend les quartiers Nord, un potager, à l’arrière de la maternelle. Des « pitchouns » plantent consciencieusement des rangées d’oignons, de fèves, de riz et… de bonbons. « Qu’est-ce qui va pousser ? », interroge Dora Goubert-­Maréchal, la directrice. Ce qui a déjà poussé, dans cette école Saint-Joseph-Servières, ce sont les bacs à légumes et à compost. « Sans les 10 000 € octroyés dans le cadre de ”Marseille en grand”, nous n’aurions pas pu investir dans ce matériel ni financer les interventions régulières du relais nature », glisse Ophélie Bouquet, enseignante déchargée un quart du temps pour coordonner ce projet. Le jardin offre un support aux apprentissages. Comme aujourd’hui, en CE1, où un plant de sauge – qui « sent le dentifrice », comme le relève Aya – est le prétexte à l’enrichissement du vocabulaire et à la rédaction de quelques phrases.

Invitées, des mères apportent leur aide, et des ateliers cuisine avec les familles ont été lancés pour promouvoir une alimentation saine. « Notre démarche a rapproché de l’école des parents qui n’ont pas les codes ou maîtrisent mal le français », estime Ophélie Bouquet. Saint-­Joseph-Servières compte parmi les 59 écoles « expérimentales » de ­Marseille en grand. Doté de 2,5 millions d’euros, ce dispositif regroupe des projets variés, pas toujours spectaculaires ni très novateurs. « Certaines écoles manquaient de moyens pour mener leur projet. D’autres l’avaient déjà lancé et lui donnent plus d’élan », observe Franck ­Delétraz, secrétaire départemental du SE-Unsa. C’est le cas de l’école Chabanon, qui depuis 2018 mise sur la musique pour renforcer les apprentissages, notamment chez les « dys » (dyslexiques, dyspraxiques, etc.). « Les zones du cerveau activées par la musique sont celles qui dysfonctionnent chez ces élèves, justifie son directeur, Alain Bertoli. Une heure et demie par semaine, nous appliquons un protocole élaboré avec un chercheur en neurosciences et un neurologue. Dys ou pas, tous les élèves progressent en lecture, sont plus concentrés et motivés. » Marseille en grand permet à l’école de poursuivre et prolonger ce projet : chaque élève bénéficie d’un prêt d’instrument et d’un apprentissage conduisant à la pratique d’orchestre.

D’autres projets sont plus ancrés dans les fondamentaux, comme ce « laboratoire » de maths, à la maternelle Menpenti. « Des bouliers, des briques de couleur, des balances permettent d’aborder d’abord cette discipline par la manipulation. On trouve aussi de quoi s’initier au codage », indique le directeur académique, Vincent Stanek. Emmanuel Macron veut faire de Marseille le « laboratoire » de « l’école du futur », avant de débloquer 500 millions d’euros pour encourager partout en France les expérimentations. Cette démarche inclut une évaluation, suivant des critères communs et d’autres définis par chaque équipe.

Annonçant le dispositif, en 2021, le chef de l’État avait lié le financement des expérimentations à une plus grande autonomie des écoles. Il avait laissé entendre que les directeurs choisiraient leurs professeurs. À l’arrivée, la rupture est moins franche. À l’école Saint-Charles-1, engagée dans un projet de développement durable, une fiche de poste a été rédigée. « Avec une autre enseignante de l’école et deux inspecteurs, nous avons reçu trois candidates », prolonge Julie Forest, la professeure coordinatrice, qui apprécie d’avoir pu « sonder leur motivation à servir notre projet ». Ensuite, les trois candidatures ont été départagées suivant le système de points habituel, fondé sur l’ancienneté, et non sur le CV. Vacants après un départ en retraite ou une mutation, 38 postes (150 candidatures) ont été attribués ainsi.

Plus de souplesse donc, mais pas de révolution. Cela n’empêche pas la secrétaire départementale du SNUipp, Virginie Akliouat, de s’opposer au dispositif. « Le financement par projet rompt le principe d’égalité et met les écoles en concurrence », estime-t-elle.