Ils ont fui la volatilité des cours magistraux pour le concret des ateliers. « Apprendre pour apprendre, cela ne m’intéresse pas, je veux créer », déclare sans ambages Dimitri Korsakoff, 21 ans, étudiant en diplôme national des métiers d’art et du design (DNMADE) « horlogerie et fabrication de bijoux » au lycée Diderot, à Paris. Même ambition pour Mathilde Ostermeyer, 27 ans, qui, licence de biologie en poche, a quitté les amphithéâtres de l’université de Paris-Saclay pour étudier la joaillerie. Ce que veulent ces étudiants, c’est à partir d’une matière brute réaliser du beau, du précis. « Il me faut du manuel, du tangible, doté d’un aspect artistique que l’on trouve dans l’horlogerie, la bijouterie, la joaillerie et l’orfèvrerie », explique Mathilde.
Si le savoir est ancestral, les techniques évoluent. Les formations aux métiers d’art n’échappent pas à une mutation numérique de leur cursus. Les savoir-faire manuels ne sont plus les seules compétences que doivent acquérir les futurs artisans. A la rentrée 2020, la Haute Ecole de joaillerie, à Paris, ouvrira son premier bachelor design bijou, à forte valeur ajoutée numérique.
Aide à la conception
Laisser entrer l’ordinateur dans les ateliers et les écoles « s’est fait tardivement dans les métiers de la main », reconnaît Michel Baldocchi, directeur général de la Haute Ecole de joaillerie. Pourquoi ? La peur que la machine remplace les savoir-faire, « la crainte de l’irréductible joaillier de voir son métier disparaître », sourit Manero Manjo, joaillier et enseignant à l’Institut de joaillerie de Saumur (Maine-et-Loire).
Mais les outils numériques ne peuvent pas tout remplacer : « S’ils font, aujourd’hui, partie du métier, ils ne sont qu’un complément qui ne dispense pas d’acquérir la maîtrise réelle du processus de fabrication », souligne Anne-Laure El Khaoua, responsable de la filière joaillerie de l’institut, qui délivre également un diplôme national des métiers d’art et du design. « Il faut savoir maîtriser les outils informatiques et ceux de l’établi. La souris, comme la lime et le chalumeau », abonde Manero Manjo.
Les logiciels utilisés sont en premier lieu des aides à la conception, à la modélisation. « Toute réalisation est au préalable transcrite en numérique pour permettre de visualiser l’objet et proposer une gamme de solutions aux contraintes figurant au cahier des charges », expose Gilbert Derrien, directeur délégué aux formations professionnelles et technologiques au lycée Diderot.
La maquette numérique réalisée, la pièce peut alors faire l’objet de photoréalisme, explique Mme El Khaoua. Le bijou virtuel est modifié, il est possible de jouer sur les effets de matières, les couleurs des métaux, les volumes… « Ce qui demandait vingt heures de travail pour réaliser une maquette solide se fait en cinq heures grâce à un logiciel de conception 3D », résume l’enseignante. Et cela permet de faire évoluer la pièce au fur et à mesure de sa conception. « Les outils informatiques ouvrent de nouveaux horizons à la création », commente Josiane Giammarinaro, proviseure de l’école Boulle à Paris, école d’art et du design.
Evolution de la recherche créative
L’évolution numérique des métiers d’art ne s’arrête pas à la conception. Une fois le projet défini, les écoles disposent aujourd’hui de machines de prototypage qui, par une interface avec le logiciel de conception 3D, permettent de réaliser un objet solide, en plastique, en cire ou en métal. Enfin, le numérique ne bouleverse pas seulement les phases de conception et de réalisation : il est aussi une source d’inspiration pour la création. « Internet et des outils de recherche comme Pinterest ont fait évoluer la recherche créative », estime l’enseignant.
Cette digitalisation de la formation aux métiers d’art s’est faite à la demande des employeurs, qui peuvent désormais, avec ces techniques, s’adapter davantage au marché. « En joaillerie, toutes les grandes maisons utilisent la 3D », rappelle Manero Manjo. Cartier sera d’ailleurs, à la rentrée 2020, le partenaire principal de la première promotion du bachelor design bijou.
Toutes les écoles citées assurent, pour leurs diplômés du supérieur, avoir un taux d’insertion proche de 100 %. Mais les cursus n’ont pas tous le même coût. Il faut compter 6 000 euros par an pour suivre le cursus DNMADE (trois ans) de l’Institut de Saumur, 8 800 pour le bachelor de la Haute Ecole de joaillerie. Les formations dans les lycées publics sont gratuites (hors l’achat des outils), mais sélectives. Par exemple, l’école Boulle offre 120 places chaque année pour 8 000 candidatures.
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