Lors de son discours des Mureaux en octobre 2020, Emmanuel Macron dévoilait un grand plan pour lutter contre les « séparatismes islamiques ». Outre la dimension sécuritaire, celui-ci comportait aussi une dimension académique. Pour promouvoir en France un « islam des Lumières », le président de la République annonçait notamment la création d’un Institut français d’islamologie (IFI).

C’est celui-ci qui est inauguré ce mardi 22 novembre à la Sorbonne. Ayant pour mission de renouer avec une islamologie française de haut niveau, la création de cet institut illustre le regain d’intérêt porté à ce domaine – négligé ces dernières années –, et surtout les enjeux de société autour du développement de l’étude de l’islam, face aux succès des discours rigoristes qui fleurissent notamment sur Internet.

« L’État doit s’engager pour soutenir ce qui, dans notre pays, doit nous permettre de faire émerger une meilleure compréhension de l’islam », déclarait Emmanuel Macron en octobre 2020. Et ce afin de « mieux nous connaître les uns les autres, parce que c’est un enjeu pour nous-mêmes ».

Menace de disparition de l’islamologie française

Deux ans plus tard, si la Fondation de l’islam de France n’a jusqu’ici obtenu que 7 % des 10 millions d’euros promis par Emmanuel Macron en 2020, l’Institut a bien vu le jour le 2 février 2022, malgré des débuts secoués par la démission récente de sa directrice, Souâd Ayada, remplacée en septembre par l’universitaire Pierre Caye. Ce groupement d’intérêt public (GIP) regroupe, en plus du ministère de l’enseignement supérieur, de la recherche et de l’innovation, huit universités partenaires, dont l’École pratique des hautes études et l’Inalco. Il a pour mission de « développer une islamologie française de haut niveau » et de promouvoir l’étude « scientifique et non confessionnelle des systèmes de croyances qui composent la religion musulmane. »

Concrètement, l’institut vise à financer des postes d’enseignants-chercheurs, mais aussi des bourses de doctorat, de postdoctorat, ainsi qu’à soutenir l’édition et la traduction des sources de la culture islamique. Des postes seront ainsi créés dans les disciplines fondamentales de l’islam comme la mystique, le droit ou l’exégèse coranique. Depuis la création de l’IFI, sept postes ont déjà été ouverts dans les universités partenaires, sur une réserve de seize postes.

« C’est le plus grand cadeau qu’ait reçu l’islamologie française depuis longtemps », se félicite l’islamologue Mohammad Ali Amir-Moezzi, président de son conseil scientifique. Depuis une dizaine d’années, la situation était préoccupante pour ce domaine d’études au sein de l’université. En 2014, Catherine Mayeur-Jaouen, directrice du groupement d’intérêt scientifique (GIS) Moyen-Orient et mondes musulmans, alertait, dans le livre blanc des études françaises sur le Moyen-Orient et les mondes musulmans, sur la menace de « disparition » de l’islamologie française. « Lorsque les islamologues sont partis à la retraite ou sont décédés, leurs postes ont été surtout attribués à des recherches sur l’islam politique », explique Mohammad Ali Amir-Moezzi.

Prisme souvent uniquement politique

Or, au-delà même de l’intérêt scientifique, la recherche en islamologie répond aussi à des enjeux de société. « L’étude approfondie et véritablement scientifique des textes reste une nécessité à l’heure où tant de courants islamistes invoquent justement ces sources des origines », fait valoir le livre blanc. « Des inepties sont débitées à longueur de journée parce que nous pâtissons d’un manque flagrant d’islamologie dans notre pays », déplore aussi Ghaleb Bencheikh, président de la Fondation de l’islam de France. Pour lui, il faudrait « cesser d’aborder la question islamique uniquement du point de vue des politistes ».

Il s’agira donc, dans ces formations, de donner à voir la diversité des courants, des cultures et des langues du monde islamique, et leurs évolutions dans l’histoire. « Quand on historicise les faits, on les contextualise et donc on les relativise », poursuit Mohammad Ali Amir-Moezzi. Et cela permet « d’acquérir un regard distancié et critique sur les textes de la foi ».

Le développement de l’islamologie pourra-t-il avoir des répercussions dans la formation théologique des musulmans ? Pas directement. « Notre mission n’est pas de créer une formation pour imams », précise Mohammad Ali Amir-Moezzi, même si ceux-ci peuvent la suivre s’ils le souhaitent. La formation, non confessante, ne répond donc pas à la nécessité de former des cadres religieux en France, alors que la majorité d’entre eux sont aujourd’hui formés au Maroc, en Algérie ou en Turquie. Certains spécialistes espèrent toutefois que le développement des méthodes historico-critiques de l’islamologie irriguera, indirectement, la théologie musulmane.

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En Allemagne, la théologie islamique à l’université

En 2021, une dizaine d’instituts universitaires de théologie islamique fonctionnaient dans les universités publiques allemandes, qui abritent aussi des facultés de théologie catholique et protestante.

L’enjeu : former des professeurs de religion musulmane, puisqu’un enseignement religieux est dispensé dans les écoles publiques du pays. « Certains Länder ont aussi créé des instituts religieux musulmans parce qu’ils considèrent que c’est un instrument d’intégration », explique Francis Messner, spécialiste du droit des religions à l’université de Strasbourg. Dans ces cursus, l’étude du Coran est associée à celle des sciences sociales.