Le tramway s’arrête devant le bâtiment de l’Institut national des sciences appliquées (INSA) de Strasbourg, situé sur le campus de l’université. C’est ainsi que Zeynep (le prénom a été modifié), 24 ans, rejoint cette école publique d’architectes et d’ingénieurs chaque matin depuis six ans. La jeune femme a grandi à Hautepierre, un quartier prioritaire de la ville, typique des grands ensembles des années 1970, situé à trente minutes du campus.
Après une scolarité au collège Erasme, classé en REP + (le plus haut niveau dans l’éducation prioritaire), la bonne élève a préparé un bac scientifique au lycée Marcel-Rudloff. Dans quelques jours, Zeynep obtiendra son double diplôme en architecture et en ingénierie. Durant toutes ces années d’études, elle a pu compter sur une bourse sur critère social délivrée par le Crous, échelon 6 (l’échelon 7 correspondant au plus bas niveau de revenus des parents). Sur les 513 euros de bourse qu’elle perçoit, elle garde 113 euros pour ses loisirs. Le reste revient à ses parents, chez qui elle vit. Ils lui ont acheté son ordinateur et le matériel nécessaire pour ses études. A l’INSA, Zeynep ne s’est jamais sentie « différente ».
Luca, lui, a éprouvé ce sentiment lorsqu’il a dû renoncer à un dîner d’intégration pour des raisons financières. « En septembre, je devais sortir 100 euros de caution en plus du loyer. Je n’avais pas 14 euros pour ce dîner », résume l’élève en troisième année du cursus d’ingénieur en topographie, boursier échelon 5. Il prend ses repas au restaurant universitaire, 1 euro seulement pour les boursiers. Sa hantise ? Redoubler, car sa bourse est en jeu. Ses parents vivent en région parisienne, sa mère est au chômage, et son père, fonctionnaire, gagne un peu plus que le smic.
Un taux de réussite moins élevé chez les boursiers que chez les étudiants issus de milieux plus favorisés
Avec ses 580 euros mensuels − sa mention très bien au bac lui vaut une bourse au mérite de 100 euros supplémentaires par mois pendant les dix mois d’école −, et un peu d’argent en plus de ses parents, il paie le loyer de sa chambre universitaire (230 euros) et vit avec le reste au quotidien. « Mais je vis confortablement, assure-t-il. J’ai l’habitude de faire attention. »
Récemment, Luca a appris qu’il était « une exception statistique ». « Je m’en doutais un peu, mais je ne pensais quand même pas que nous n’étions que 5 % de boursiers échelons 5 à 7 dans toutes les écoles du groupe [5,1 % exactement, hors INSA Hauts-de-France] », commente-t-il. Depuis plusieurs années, les INSA, comme l’ensemble des écoles d’ingénieurs et autres grandes écoles, constatent un mouvement de fermeture sociale plutôt que d’ouverture. Selon le ministère de l’enseignement supérieur, la proportion de boursiers dans les formations d’ingénieurs est de 22 %. En outre, ce sont les cursus qui accueillent le moins de boursiers des échelons 5 à 7.
Il vous reste 57.44% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.