Godefroy de Virieu, directeur de la création d'Hermès Petit h, prend la pose dans la «cave à matières», attenante à l'atelier installé à Pantin (Seine-Saint-Denis).
Godefroy de Virieu, directeur de la création d'Hermès Petit h, prend la pose dans la «cave à matières», attenante à l'atelier installé à Pantin (Seine-Saint-Denis). Hermès - Petit h

Petit h d'Hermès à Pantin: l'objet (et la tête) à l'envers

REPORTAGE - Certains commencent par «Dessine-moi un mouton», d'autres avec «invente-moi une balançoire». Voilà comment est né ce drôle d'atelier-laboratoire où artisans, designers et artistes créent des mondes imaginaires à partir de «matières» récupérées dans les métiers d'Hermès.

Godefroy de Virieu attrape un caddie par ses poignées (empruntées à un sac Kelly), se place devant les étagères chargées de poteries à anses de cuir et empoigne la rampe de l'escabeau roulant : «Prends la photo, c'est parfait ici. » Pour un directeur artistique de grande maison de luxe, le quadra­génaire, dont on doit tirer le portrait pour cet ­article, a l'ego facile et la créativité spon­tanée.

« L'histoire de Petit h ­commence par une idée géniale de Pascale Mussard (membre de la 6e génération de la famille ­Hermès, NDLR) qui, vers 2008, s'était demandé que faire des matériaux non utilisés restant dans les ateliers de la maison, les fins de série, les chutes de cuir, les rebuts de porcelaine, les retoqués du cristal Saint-Louis (qui appartient au groupe) ou de bijouterie. Un gisement de matières exceptionnelles qui, pour des raisons diverses, ne passent pas les contrôles qualité ou dont les artisans n'ont pas l'usage. Elle décide alors de rassembler dans un seul lieu toutes ces matières dispersées aux quatre coins de la France. Elle enrôle des artisans de la maison à l'esprit agile qui ont envie de travailler différemment avec leurs mains et fait venir des designers et des ­artistes autour de la table. Tous vont ­commencer à parler et à sortir des idées, à inventer des objets à ­partir de ces matières existantes et, parfois, d'une envie de ­Pascale. Elle disait : “Moi, je rêve d'une ­balançoire”, “Et si on faisait une ­brouette”, etc. Et à nous de réinventer des objets du quotidien avec ce que nous avions sous la main. » Sa première réalisation est donc une balançoire, créée à partir d'une planche, de deux étriers et de deux ­étrivières en cuir, recalés par l'atelier d'équitation.

Méthode traditionnelle

Douze ans plus tard, Pascale Mussard a quitté l'aventure, mais passé le relais au talentueux designer formé à l'Ensci (École nationale supérieure de création industrielle). La start-up est devenue un métier du sellier à part entière. « Nous étions 3, puis 10, puis 20 et désormais 40, dont un quart d'artisans et les autres opérant au stock, au contrôle qualité, au commercial, etc. Et nous collaborons aujourd'hui avec 40 designers et artistes. » Ce jour-là, dans l'atelier de Pantin, Célia, trente­naire, entrée comme couturière chez ­Petit h il y a douze ans, achève un sublime hamac tressé selon une méthode traditionnelle en carrés de soie recyclés et roulottés. Deux fois par an, les créations de l'atelier font l'objet d'une vente dans une grande ville à travers le globe. Le hamac fera partie de celle de Dubaï en novembre. Que les Français se rassurent, l'unique adresse au monde où l'on peut découvrir, à l'année, l'univers de Petit h est le 17, rue de Sèvres, à Paris (6e), au sein de l'espace ouvert en septembre dernier dans le ­prolongement de la boutique Hermès.

Célia, couturière, travaille sur le hamac tressé en carrés de soie recyclés. Hermès - Petit h

« Ce que nous faisons s'inscrit très simplement dans la démarche de l'artisan ­Hermès, pour qui le moindre petit morceau de matière peut être transformé et donner naissance à quelque chose de nouveau. Ce qu'on appelle aujourd'hui “upcycling” date chez nous de 1837 (année de la fondation d'Hermès) et ne porte pas une simple valeur actuelle de communication, c'est notre héritage.» Sauf que si, habituellement, l'artisan part du dessin pour réaliser le proto­type, puis le produit final, il doit ici partir du stock existant et remonter la chaîne ­logique en explorant l'histoire de l'objet, main dans la main avec des créatifs. Ici, les artisans doivent avoir l'esprit agile pour proposer des techniques d'assemblage presque contre-intuitives.

«Au-delà de l'objet, du luxe, d'Hermès, Petit h aspire à montrer comment, dans la vie de tous les jours et de tout le monde, on peut réussir à faire des choses avec ce que l'on a sous la main, explique Godefroy de Virieu. Quand les gens voient nos objets, certains se disent : “Tiens, c'est pas bête cette idée, je pourrais m'en inspirer pour chez moi.” Ce qui est excitant, dans les objets de détournement, c'est qu'on touche directement à l'astuce de l'enfance. On emprunte à l'innocence du cadavre exquis, du surréalisme, pour fabriquer quelque chose qui a un véritable usage. Je me souviens d'avoir croisé dans la boutique de la rue de Sèvres un client sensible au design et à l'esprit d'Hermès, et qui tombe par hasard sur nos jarres en terre cuite avec les anses en cuir des sacs Kelly. Il est devenu fou de ces objets ! C'est tellement gratifiant pour nous de réussir à déclencher une émotion. » Une émotion qu'il explique par le fait que ce croisement entre la terre cuite et la peau a toujours existé, il est même préhistorique.

Une guitare, arçon d'équitation

Dans un autre registre, il nous désigne l'un des objets les plus emblématiques de ­Petit h, une petite salière faite avec un verre en cristal Saint-Louis, un rond de cuir et de liège, et un bouton en corne, dont les quatre trous laissent passer les grains de sel. Puis il se saisit d'une guitare électrique fabriquée avec un luthier à ­partir d'un arçon d'équitation ! « Ces arçons, qui structurent l'intérieur de la selle, étaient fabriqués avec des techniques de montage anciennes, or les selles ont changé pour s'adapter à l'ergonomie du cavalier. Nous en avons donc un stock, qui nous a permis de faire cet instrument, mais aussi, une luge, une balançoire… »

La fameuse salière en verre de cristal Saint-Louis et bouton du prêt-à-porter. Hermès - Petit h

Si le dernier projet en date est à petite échelle (un miroir créé avec les designers du Studio BrichetZiegler, à partir d'un vase Versailles de Saint-Louis détourné en pied), l'atelier « sort » plus de 200 grosses pièces par an. À l'instar de ce coffre-fort en bois inspiré à Godefroy par la visite d'une banque du début du XXe siècle à Sydney : « Là, les rouages de fermetures sont formés de la traverse de la chaise ­pliante Pippa, un bouton en corne de duffle-coat, un étrier d'équitation, une assiette en porcelaine, un cabochon de malle, une pièce de palissandre récupérée dans les ateliers de l'art de vivre, un centre de table de Puiforcat et quatre ­cabots de cristal Saint-Louis pour les pieds. » Il y a aussi la table en « picassiette » que vient d'achever Mathilde Jonquière, mosaïste.

Devant les étagères de boîtes de boucles et de boutons, une selle en attente d'être «recyclée». Hermès - Petit h

«Elle est artisan dans son métier et a un œil artistique, précise-t-il. J'ai découvert son travail dans un magasin parisien où elle a créé les enseignes de la boucherie, du poissonnier, etc. Nous lui avons donné des services de porcelaine choisis pour leurs motifs qu'elle a cassés pour obtenir 3 200 tesselles qu'elle a assemblées sur ce grand plateau en cuir réalisé par notre artisan maroquinier pour une table de 1,40 m de diamètre. » Cette pièce unique qui a ­demandé des heures de travail n'est bien sûr pas accessible au plus grand nombre. « Nos créations vont de 20 euros à 150.000 euros ! Parce que l'esprit Petit h se loge aussi dans nos rubans adhésifs en soie ou en cuir que vous pouvez utiliser pour scotcher vos photos au mur, par exemple. »

Nain de jardin conçu à partir de cuir, de tissu du prêt-à-porter et d'une soupière, actuellement en vente à la boutique du 17, rue de Sèvres (Paris 6e). Hermès - Petit h
Les rubans adhésifs créés à partir de chutes de tissus ou de cuir font partie des petits prix et des gros succès de Petit h. Hermès - Petit h

Petit h d'Hermès à Pantin: l'objet (et la tête) à l'envers

S'ABONNER
Partager

Partager via :

Plus d'options

S'abonner