C’est un chantier comme un autre. Un de plus où il est embauché comme manœuvre pour « piocher, faire du béton, de la maçonnerie ou ranger le matériel ». Un de plus où il n’a « pas de contrat, pas de fiche de paye, pas de congés ». Moussa (tous ceux dont seul le prénom figure ont requis l’anonymat pour ne pas perdre leur travail) est payé 80 euros la journée, qu’il termine à 17 heures ou à 21 heures. Sans papiers et depuis treize ans en France, ce Malien de 42 ans ne prend pas le risque de réclamer son dû. « On est là pour survivre, on n’a pas le choix, même si les choses ne se sont pas passées comme on le souhaitait, on ne va pas baisser les bras », souffle-t-il.
Le chantier sur lequel il pointe depuis presque quatre mois n’est pas n’importe lequel puisqu’il s’agit du village des athlètes des Jeux olympiques (JO) et paralympiques de 2024. D’ici à quelque six cents jours, celui-ci accueillera 14 000 compétiteurs et leurs staffs, à cheval sur les communes de Saint-Denis, de Saint-Ouen et de l’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis). Une vitrine internationale pour les majors de la promotion immobilière et du BTP, l’« incarnation de l’urbanisme du XXIe siècle », selon les termes de l’établissement public chargé de la construction des sites, la Société de livraison des ouvrages olympiques (Solideo).
Sur le site, plusieurs milliers d’ouvriers et leur encadrement seraient actuellement présents. Parmi eux, Moussa dit ne pas avoir croisé beaucoup de Français mais surtout des Ouest-Africains, « des Turcs, des Portugais ou des Arabes ». Il se doute qu’il y a parmi eux d’autres travailleurs en situation irrégulière, mais « on parle de tout sauf de ça sur les chantiers ». Une discrétion qui sied à tout le monde.
Moussa travaille avec les papiers d’un compatriote en règle, à qui il reverse une partie de son salaire. On appelle ça « travailler sous alias ». Ses employeurs ? « Ils s’en foutent, dit Moussa. Ils ont juste besoin qu’on leur envoie des papiers par WhatsApp pour faire les badges d’accès, mais tu peux leur en envoyer des différents à chaque chantier. » Quant au donneur d’ordre principal, Spie Batignolles, Moussa croise ses cadres au quotidien sans que sa présence suscite d’interrogations – contactée, l’entreprise n’a pas donné suite.
« Nébuleuse de sociétés »
Avant de rejoindre le secteur du bâtiment, Moussa a travaillé dans le nettoyage et la restauration. Sa femme, restée au pays, a refait sa vie, et ses trois enfants ont grandi. Il a demandé un titre de séjour en 2017, mais a essuyé un refus. En 2021, il a voulu retenter sa chance, mais il n’a pas eu de rendez-vous avant le printemps 2023 pour un dépôt de demande à la préfecture de Seine-Saint-Denis.
Il vous reste 74.56% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.