Je désosse, tu pares, il ou elle barde, nous coupons, vous ficelez, ils ou elles dégraissent. Bienvenue à l’École professionnelle de boucherie (EPB), près de la porte Dorée à Paris, où des élèves s’entraînent, penchés sur des quartiers de viande… Ici, on ne badine pas avec la présentation. Sous le tablier blanc, ces jeunes ont revêtu une chemise, une blouse et une cravate bleue, sans oublier une casquette aux couleurs de l’école fondée en 1927. Et un tablier de protection en cotte de mailles !

Cette année, près de 300 jeunes préparent leur CAP ou un brevet professionnel dans ce CFA (centre de formation des apprentis). « Nous formons quelque 10 000 apprentis par an et 4 000 postes sont à pourvoir », pointe Jean-François Guihard, président de la ­Confédération française de la boucherie, boucherie-charcuterie, traiteurs (CFBCT). Le nombre de commerces, en baisse depuis l’arrivée de la grande distribution, s’est cependant stabilisé il y a quelques années. « Il y a environ 18 000 boucheries aujourd’hui », précise Jean-François Guihard, en rappelant qu’on en comptait 45 000 à l’après-guerre. Un bilan qui ne tient pas compte de la vente en grandes surfaces.

« En revanche, avec 52 000 personnes, l’effectif salarié de la filière est en hausse car les entreprises sont devenues plus importantes », souligne le président de la CFBCT. L’offre s’est en effet élargie. Meilleur ouvrier de France et président de l’EPB, Claude Anthierens rappelle qu’il y a quelques dizaines d’années, un boucher ne vendait guère que du bœuf, de l’agneau ou du veau. « Il y avait des volaillers, ou des tripiers, rappelle-t-il. Ces métiers ont pour la plupart disparu, ce qui explique en partie pourquoi les boucheries ont repris une partie de leur activité. »

Les bouchers ont accompagné l’évolution du mode de vie des consommateurs, en leur préparant des pièces de viande prête à cuire, ou encore des plats cuisinés. Beaucoup vendent aussi désormais du vin ou de l’épicerie fine. Selon Jean-François Guihard, la vente de viande brute constitue en moyenne 60 % du chiffre d’affaires. D’après une enquête du Crédoc, la consommation de produits carnés a baissé de 12 % entre 2007 et 2016. Une baisse que ­Jean-François Guihard relativise. « On a constaté un sursaut de la consommation pendant le Covid, déclare-t-il. C’est surtout la viande brute qui recule. Beaucoup de jeunes disent éviter de manger trop de viande mais semblent ne pas s’apercevoir qu’ils en consomment dans les burgers. » Les ventes de haché ont d’ailleurs pris de plus en plus d’importance. « Aujourd’hui, plus de 55 % de la viande d’un bovin est destinée aux steaks hachés. »

Les bouchers sont aussi confrontés à des messages qui ne valorisent guère leur viande pour des motifs sanitaires, éthiques, ou encore environnementaux. La profession y répond notamment avec son slogan : « Aimez la viande, mangez-en mieux. » Quant au mouvement végan, Jean-­François Guihard estime que le mal qu’il a pu causer est moins économique que moral, à travers la « souffrance » des quelques bouchers qui ont été pris à partie, eux ou leurs boutiques.

Ces messages ne semblent pas affecter les élèves du centre d’apprentissage. Comme Ange, 20 ans, l’une des (très) rares filles de la promotion 2022. Bon an mal an, ce sont 5 % de filles qui se préparent à tailler la bavette, selon Marie-Caroline Martin, la directrice pédagogique du CFA. « L’image de bouchers costauds portant de lourdes carcasses de bovin sur les épaules perdure encore mais appartient en grande partie au passé », dit-elle. Ange vient du Cameroun. Cette fille de boucher dit avoir été séduite par la qualité et le soin du travail de la viande en France et son rêve est de retourner ouvrir une boucherie « à la française » dans son pays. Et puis, il y a aussi Pablo, Baptiste, Ethan, Louis, Vincent ou encore Adama. Qu’ils préparent leur CAP ou leur BP, issus ou non de familles où l’on trouve des bouchers, ces jeunes évoquent la « matière noble » qu’ils travaillent, la satisfaction de se préparer à un métier contribuant à nourrir les gens. Ces apprentis ne seront pas les seuls renforts de la boucherie. En face du CFA, un bâtiment abrite l’École nationale supérieure des métiers de la viande (ENSMV). Une partie des élèves sont des personnes en reconversion et, à écouter son directeur, David ­Campagne, leur profil a évolué. « On rencontre de plus en plus de candidats avec des diplômes supérieurs : responsable marketing, architecte, mais aussi chauffeur de taxi ou encore policier, détaille-t-il. Il y a eu aussi un effet économique du Covid avec des personnes qui savent que ce sont des métiers recherchés, non délocalisables. » L’ENSMV délivre aussi une formation baptisée « manager d’unité marchande ».

« Être un bon technicien ne suffit plus pour tirer son épingle du jeu, observe David Campagne. Ce cours vise à former les futurs chefs d’entreprise bouchers aux compétences aujourd’hui incontournables comme la gestion financière appliquée, le marketing ou la communication. » Des bouchers complets en quelque sorte. « Boucherie moderne ». C’est le nom de la boutique que John ­Gillot a créée il y a presque vingt ans près de la place de la Nation, dans l’est de la capitale. « Quand je suis arrivé à Paris, j’ai été séduit par l’atmosphère des bistrots », se souvient-il, expliquant qu’il a voulu appliquer le même code « gourmand » à sa boucherie, pour casser l’image trop souvent « froide » de ces commerces. Auvent et tentures noires, ardoises avec typographies blanches, emballages graphiques…

Le boucher a réussi à se singulariser. Désormais, sa boutique, petite par la taille, emploie une douzaine de personnes, livre « dans l’heure » et a développé la vente par Internet… John Gillot propose aussi des ateliers graphiques pour les métiers de bouche, ou encore du conseil et de la formation en communication « print et Web ». De quoi former des « bouchers 2.0 » en somme.