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L’enquête

Discriminations, moqueries, autocensure... Les LGBT+ à la peine au travail

Un tiers des salariés LGBT + a été victime d'au moins une agression LGBTphobe dans son organisation, d'après la dernière édition du baromètre de l'association L'Autre Cercle. Preuve que les difficultés que peuvent rencontrer les LGBT + ne s'arrêtent pas aux portes de l'entreprise. Mais tous ne sont pas logés à la même enseigne.

La légalisation du mariage pour les couples de même sexe a eu le mérite de mettre les services de ressources humaines des entreprises aux prises avec l'évolution du cadre légal.
La légalisation du mariage pour les couples de même sexe a eu le mérite de mettre les services de ressources humaines des entreprises aux prises avec l'évolution du cadre légal. (Getty Images/Westend)

Par Samuel Chalom

Publié le 19 déc. 2022 à 07:00Mis à jour le 27 févr. 2023 à 17:18

Printemps 2013, un certain 17 mai. Bientôt dix ans. Après des mois de débats parlementaires houleux, de manifestations monstres, la loi ouvrant le mariage pour tous aux couples de personnes de même sexe est promulguée. Responsable de l'observatoire de L'Autre Cercle - association consacrée à l'inclusion des LGBT + dans le monde du travail -, Alain Gavand s'en souvient comme si c'était hier : « Les débats autour du mariage pour tous ont créé des débordements, des conflits, des mauvaises blagues , qui se sont invités au sein de l'entreprise. C'est bien la preuve que les difficultés que peuvent rencontrer les LGBT + au quotidien ne s'arrêtent pas aux portes de l'open space », analyse l'expert.

Près d'une décennie plus tard, tout est loin d'être réglé : 30 % des salariés LGBT + ont subi au moins une agression LGBTphobe (insultes, moqueries, actes de violences physiques, etc.) dans leur organisation, d'après la dernière édition du baromètre LGBT + de L'Autre Cercle, parue en juin dernier. Un chiffre en hausse de quatre points par rapport à 2020. Dans le dernier rapport SOS Homophobie, publié en mai, on pouvait également lire : « Le retour progressif au travail en présentiel après la crise sanitaire s'est accompagné d'une augmentation des témoignages auprès de nos pôles d'écoute, ce qui démontre une nouvelle fois que le milieu professionnel est, pour nombre de personnes LGBT +, un environnement d'insécurité ». Le travail représente 11 % des signalements reçus par l'association (+2 points en un an), ex aequo avec le voisinage et les commerces et services, et derrière la famille et l'entourage (15 %).

Néanmoins, la légalisation du mariage pour les couples de même sexe a eu le mérite de mettre les services de ressources humaines des entreprises aux prises avec l'évolution du cadre légal « puisque lorsqu'un salarié vient demander aux RH un congé pour son mariage, il remet une copie de son acte de mariage, quelle que soit son orientation sexuelle », pointe Denis Triay, président de l'Autre Cercle. Malgré cette évolution du cadre légal, les salariés LGBT + ne sont pas tous logés à la même enseigne.

Les petites entreprises encore à la traîne

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A commencer par la taille de leur entreprise. C'est ce qu'a pu remarquer ce même Denis Triay en consultant les résultats de la dernière édition des Rôles Modèles LGBT + et Allié·es - c'est-à-dire une personne non-LGBT + qui soutient l'égalité de genre dans son entreprise -, publiée par son association en octobre 2022. « Seuls 17 % des lauréats émanent d'une organisation inférieure à 300 personnes. Cette faible représentation des petites entreprises est pour moi symptomatique du fait que les grandes entreprises peuvent compter sur leur direction des ressources humaines pour mettre en place une politique de non-discrimination, et sont souvent dotées d'un ou une responsable chargé de la diversité et de l'inclusion. »

Ce n'est donc, sans doute, pas un hasard si l'on retrouve un grand nombre des initiatives les plus en pointe pour l'inclusion des salariés LGBT + dans les grandes entreprises, les groupes anglo-saxons, et les acteurs de la tech. Chez Axa, IBM, Accor, Engie, ou encore au sein du Boston Consulting Group (BCG), existent par exemple des réseaux LGBT + et d'Alliés. « En 2013, alors que j'étais fraîchement diplômé et que je venais d'intégrer le cabinet depuis seulement quelques mois, j'ai reçu un total soutien de la direction lorsque je leur ai proposé de créer un réseau LGBT + en interne », se remémore Thomas Delano, aujourd'hui directeur associé au BCG et qui a donc pu créer le réseau Pride@BCG il y a près de dix ans.

Pour Alain Gavand, s'il existe un tel « gap » entre les organisations, c'est aussi parce que ce n'est tout simplement pas « la priorité d'une TPE ou d'une PME. C'est une montagne qui leur paraît trop haute à franchir. » En témoigne, d'ailleurs, la réponse de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) lorsqu'on l'interroge sur le sujet. « Nous ne sommes pas assez avancés sur ce sujet pour pouvoir vous répondre », indique son service de communication, précisant toutefois qu'une réflexion est en cours sur cette thématique.

Des exceptions existent néanmoins lorsque les petites entreprises sont « dirigées par des patrons engagés », souvent « pour des raisons personnelles ». C'est le cas, par exemple, de Maud Grenier, la trentaine, qui a fondé le cabinet de recrutement PeoplePro à Angoulême (Charente). Elle qui a fait son coming out professionnel en juillet dernier sur LinkedIn, forme ses deux salariés « au recrutement inclusif » et n'acceptera jamais de « travailler avec un client ouvertement homophobe. »

Même son de cloche pour Olivier Draeger, héritier et président du groupe familial éponyme - spécialisé dans la papeterie et la carterie, 400 salariés à ce jour. « Etant moi-même gay, je crois vraiment à l'idée des rôles modèles. C'est pourquoi j'ai annoncé mon orientation sexuelle à mes équipes il y a déjà plusieurs années, en précisant que j'étais également papa. J'ai, depuis, formalisé mon engagement en signant la charte de L'Autre Cercle - avec laquelle les entreprises signataires prennent différents engagements (égalité de droit et de traitement entre tous les salariés, partage des bonnes pratiques, soutien aux victimes de discriminations…) , ainsi que la Charte de la diversité. »

Travailler en région, un calvaire ?

Emilie Morand, aussi, connaît très bien le sujet de l'inclusion LGBT + au travail. Chercheuse en sociologie, elle a entièrement consacré sa thèse de doctorat à la manière dont les gays et lesbiennes vivent leur homosexualité dans leur environnement professionnel. Et, une des choses qui l'a le plus marquée en réalisant ce travail d'enquête de longue haleine, c'est le fait que beaucoup des personnes qu'elle a interrogées habitaient Paris. « Cela fait maintenant bien longtemps que les sociologues qui s'intéressent à l'homosexualité ont démontré qu'il y a un mouvement de ces populations vers les grandes villes. » Pourquoi ? Il y a, à la fois, la recherche d'un certain anonymat - « difficile de se cacher dans une petite commune où tout le monde se connaît » - et l'idée selon laquelle « les gens seraient plus ouverts dans les grandes villes ».

Les données fournies par L'Autre Cercle appuient le constat de la sociologue d'une forte concentration des salariés LGBT + en région parisienne. Seuls 23 % des lauréats Rôle Modèles LGBT + et Alliés édition 2022 viennent de province, contre 77 % pour la seule région Île-de-France. Longtemps, l'association a pensé qu'elle n'arrivait tout simplement pas à atteindre les candidats rôles modèles en province. « Mais après avoir fait le maximum cette année pour sourcer ce type de profils, ce sont les managers et dirigeants eux-mêmes qui nous ont expliqué que souvent, les salariés LGBT + qui travaillent en région ne veulent pas s'exposer », rapporte Alain Gavand.

Dans certaines villes de province, entreprises et municipalités travaillent main dans la main pour faire évoluer les mentalités. C'est le cas par exemple à Limoges : la toute première Marche des fiertés de la préfecture de la Haute-Vienne s'est déroulée en septembre dernier, événement pour lequel s'est impliqué le groupe Legrand (plus de 38.000 collaborateurs en 2021, implanté dans près de 90 pays), acteur économique incontournable de ce territoire puisque le spécialiste des installations électriques y a son siège social.

Ce qui relie ces entreprises basées en région et mobilisées pour l'inclusion LGBT +, c'est bien souvent (une nouvelle fois) un fort engagement de leur équipe de direction. « Le directeur général et moi-même avons été tous les deux lauréats rôle modèle de l'Autre Cercle, ce qui va totalement dans le sens de notre stratégie de porter haut et fort l'inclusion et la diversité, et cela au service de notre marque employeur », explique Frédéric Faye, DRH du groupe de protection sociale Apicil, dont le siège social est situé dans la périphérie de Lyon.

Et de faire remarquer : « Je constate que même de très grands groupes installés dans la région ne communiquent pas sur l'inclusion LGBT +. C'est encore un peu tabou d'en parler. Le seul sujet d'inclusion sur lequel ces mêmes entreprises osent échanger, c'est la question du handicap. »

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Parler de mon orientation sexuelle ? Mais je suis fonctionnaire, j'ai un devoir de réserve…

Comme Frédéric Faye, Henri Hamelin, 34 ans, a l'expérience d'une carrière professionnelle en province… mais dans le secteur public. Originaire d'une commune de 15.000 habitants où il n'a « jamais rencontré de problèmes particuliers », ce trentenaire travaille aujourd'hui à la mairie de Grenoble en tant que directeur de l'éducation et de la jeunesse de la ville. Dans les différentes collectivités territoriales pour lesquelles il a travaillé, le fonctionnaire n'a jamais été témoin d'une dynamique inclusive volontariste mais assure n'avoir jamais subi de discriminations liées à son orientation sexuelle. Ce qui lui pèse surtout, c'est « l'épée de Damoclès » que constitue le devoir de réserve des fonctionnaires.

« Ce devoir de réserve implique que tout salarié de la fonction publique a un impératif de discrétion. Pour les fonctionnaires LGBT + comme moi, ce devoir de réserve est vécu comme la nécessité de rester discret également sur notre orientation sexuelle, alors que cette réserve doit normalement être avant tout politique. »

Concrètement, le jeune fonctionnaire explique que lui ou ses collègues LGBT + vont se sentir par exemple moins à l'aise que les autres pour afficher une photo de leur couple encadrée sur leur bureau, ce que ferait naturellement un fonctionnaire hétérosexuel. « Et les prises de position de Caroline Cayeux, qui était notre ministre des Collectivités territoriales jusqu'à fin novembre, n'ont pas aidé », fait-il remarquer, faisant référence à ses prises de parole passées contre le mariage pour tous, qualifié de « réforme de caprice et de dessein qui va contre la nature », ainsi qu'à ses récents propos au sujet de « ces gens-là » pour qualifier les homosexuels lors d'une interview télévisée en juillet dernier. Propos qui avaient suscité le tollé des associations luttant contre l'homophobie.

Ce que décrit Henri Hamelin, la chercheuse en sociologie Emilie Morand l'a aussi perçu chez des profs qu'elle a interrogés pour sa thèse de doctorat. « Les enseignants LGBT + ont à la fois peur du regard que pourrait porter sur eux leur direction, mais aussi de celui des parents, qu'on remette en cause leur crédibilité de prof ou pire que l'on questionne leurs réelles motivations en choisissant ce métier », laissant entendre que l'amalgame inacceptable entre homosexualité et pédocriminalité est encore malheureusement vivace dans notre société.

Le corps enseignant LGBT + serait, en plus, confronté à une injonction contradictoire. « En tant qu'agents de l'Etat, il leur est demandé depuis plusieurs années d'intégrer à leur mission éducative la défense de la diversité sexuelle et de genre auprès des élèves », rappelle la chercheuse. Cela aurait pour effet de placer ces profs dans « une incertitude quant à la légitimité de leur posture ». Autrement dit, ils auraient du mal à jongler entre leur devoir de discrétion et cette mission éducative qui leur est demandée.

Le piège des secteurs (forcément) « LGBT-friendly »

Il y a parfois, aussi, la réputation, finalement pas toujours véridique, que tel ou tel autre secteur serait plus ou moins accueillant pour les salariés LGBT +. En témoignent les réponses des Français lorsque l'association L'Autre Cercle les interroge sur leur perception des secteurs plus ou moins « LGBT-friendly ». Une minorité juge que l'industrie, le BTP, ou encore la construction sont des environnements non inclusifs, quand une majorité perçoit la tech, la publicité, le marketing ou encore l'associatif comme des espaces « safe » pour les LGBT +.

La mode est un autre exemple, mais Vanessa Moungar, directrice groupe diversité et inclusion chez LVMH (propriétaire des « Echos »), met en garde : « Il est toujours très difficile de généraliser. Pour un groupe comme le nôtre, présent dans plus de 80 pays avec 200.000 salariés, s'assurer que tout le monde a une expérience inclusive reste un combat de tous les jours, auquel nous nous attelons sans relâche. »

À l'inverse, des secteurs historiquement (très) masculins et hétéronormés pâtissent encore d'une mauvaise image alors que de nombreux efforts d'inclusion y ont été réalisés. C'est le cas de l'audit : enseignant-chercheur à l'Institut supérieur de gestion, Sébastien Stenger avait mené en 2017 une enquête sur la place des LGBT + dans ce milieu. À l'époque, beaucoup des salariés LGBT + du secteur qu'il avait rencontrés préféraient dissimuler leur orientation sexuelle, craignant stéréotypes et malaises. « Aujourd'hui, la situation n'est plus du tout la même qu'il y a cinq ans : que ce soit dans l'audit, mais aussi le conseil ou la banque, ces secteurs se montrent bien plus volontaristes qu'avant, multipliant les initiatives. »

Samuel Chalom

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