L'école, la carte et le territoire

Les outils et données géographiques se multiplient autour de la question de l'éducation. Des publications récentes mettent en évidence les liens entre la situation socioéconomique des familles et la fréquentation des établissements scolaires. La refonte de la carte de l'éducation prioritaire, qui doit débuter en 2023 pour s'achever en 2024, devra nécessairement tenir compte de ces paramètres de plus en plus visibles et discutés dans le débat public.

C'est un outil qui tombe à pic. Le 14 décembre 2022, la direction de l'évaluation de la performance et de la prospective (Depp) du ministère de l'Éducation nationale lançait Géo-éducation, son portail de cartographie interactive permettant de visualiser de nombreux indicateurs sur l’éducation à différentes échelles géographiques. Quelques jours plus tôt, le ministre de l'Éducation nationale, Pap Ndiaye avait annoncé pour 2023 – avec une mise en œuvre opérationnelle en 2024 – la révision de la carte de l'éducation prioritaire. Cette dernière n'a plus été revue depuis 2014. À l'époque, elle avait été établie à partir de données datant de 2011. L'occasion pour le ministre de déplorer que nous ayons "dix ans d'évolution des quartiers [de retard], et c'est un problème".

Pour faire entrer certains établissements dans l'éducation prioritaire – avec les moyens qui vont avec, dont le dédoublement des classes en CP, CE1 et en grande section de maternelle – et en faire sortir d'autres, sur quelles données le ministère de l'Éducation nationale s'appuiera-t-il ? D'abord sur des données qu'il possède déjà, puisqu'il en est le producteur, et dont la publication récente a suscité de nombreux commentaires. Le 5 octobre 2022, les détails par établissement de l'indice de position sociale (IPS) des élèves des classes de CM2 et de collèges à la rentrée 2021/2022 étaient en effet rendus publics à la suite d'une décision de justice. Longtemps cachées, ces données indiquaient, sans surprendre, que les élèves des établissements privés sous contrat sont, en moyenne, issus de familles dont le niveau socioéconomique est supérieur à ceux du public (lire notre article du 21 octobre).

La sectorisation entraîne des inégalités

Plus récemment, le 13 décembre, un séminaire du laboratoire interdisciplinaire d’évaluation des politiques publiques (Liepp) de Sciences Po s'interrogeait : "Qui peut encore acheter un logement proche d’un bon collège ?" Derrière cette question, deux chercheurs tentaient d'expliquer l'accès à la propriété et la sectorisation scolaire dans la métropole parisienne. À partir de l'analyse empirique de la base d’informations économiques notariales sur la période 2006-2015, ils sont arrivés à la conclusion que "les écarts de prix immobilier en fonction de la qualité du collège public local ont augmenté de manière significative", et que par conséquent, "les ménages à bas revenus sont de plus en plus exclus du marché de l’accession, et tout particulièrement dans les meilleurs secteurs scolaires, tout comme une frange des classes moyennes qui s’est progressivement reportée sur le marché immobilier dans les secteurs scolaires peu attractifs". Parallèlement, et sans surprise là non plus, "les catégories supérieures ont consolidé leur accès à la propriété dans toute la métropole parisienne, y compris dans les secteurs scolaires les plus valorisés". Selon ce travail de recherche, "la sectorisation scolaire joue un rôle clef dans la reproduction des inégalités sociales".

Les débats à venir autour de la révision de la carte de l'éducation prioritaire pourraient donc, en premier lieu, prendre en compte les indications fournies par l'IPS ou des travaux tels que ceux menés par le Liepp. Cela permettra notamment de résoudre un point noir régulièrement mis en avant par les défenseurs de cette révision : celui des écoles "orphelines", c'est-à-dire fréquentées par des enfants issus de familles de faible niveau socioéconomique mais non rattachées à un collège classé en REP et ne bénéficiant donc pas de moyens supplémentaires adaptés pour mieux accompagner des enfants qui en ont autant besoin que ceux des REP.

Le dilemme des territoires ruraux

Mais on sait aussi, depuis 2019 et la remise du rapport d'Ariane Azéma et Pierre Mathiot, que la question des inégalités scolaires ne se limite pas aux banlieues et quartiers pauvres des grandes villes. Dans la foulée de ce rapport, Jean-Michel Blanquer, alors ministre de l'Éducation nationale, avait d'ailleurs annoncé la fin de la sectorisation actuelle de l'éducation prioritaire et la prise en compte des territoires ruraux.

Pour faire entrer ces derniers dans l'éducation prioritaire, un des dilemmes que devra résoudre le ministère de l'Éducation sera celui de la démographie. À l'heure où la chute du nombre d'élèves dans le premier degré impacte beaucoup plus les campagnes que les villes (lire notre article du 13 décembre), il lui faudra augmenter les effectifs d'enseignants pour parvenir au dédoublement là où les classes se dépeuplent… et alors que le ministère vient d'annoncer une baisse globale de 1.500 emplois pour l’enseignement public en 2023.

En 2020, Jean-Michel Blanquer souhaitait également lutter contre les "effets de seuil" actuellement à l'œuvre afin de proposer une mise en œuvre progressive des moyens de l'éducation prioritaire. Faut-il voir dans l'annonce par Pap Ndiaye d'un "travail très, très fin" la continuité de cette volonté de progressivité dans l'allocation des moyens au profit d'une éducation prioritaire aux contours retouchés ? Là encore, les données récentes, tant démographiques que socioéconomiques, apporteront des pistes de réflexion.

Déjà repoussée durant le premier quinquennat d'Emmanuel Macron, la question du redécoupage de l'éducation prioritaire ne semble plus pouvoir être éludée. Son traitement annoncé pour 2023 sera scruté de très près par toutes les parties prenantes du système éducatif, qui possèdent désormais des outils pour aiguiser leur jugement sur les choix qui seront faits.