Dans les salles des profs, on appelle cela le « tri social ». L’expression désigne l’orientation des élèves des catégories populaires vers les filières les moins prestigieuses du système éducatif.
Ce phénomène, dénoncé depuis de nombreuses années dans les rangs syndicaux, apparaît de manière éclatante avec l’analyse des indices de position sociale (IPS) des lycées, que l’éducation nationale vient de mettre en ligne en données ouvertes. Cet outil statistique, élaboré en 2016, permet de déterminer le profil social d’un établissement, en faisant la moyenne de l’IPS de tous ses élèves.
La publication des IPS révèle la surreprésentation des catégories populaires dans les lycées professionnels, dont l’IPS moyen est de 88 (pour une moyenne nationale à 102 sur l’ensemble des établissements), selon les calculs réalisés par Le Monde. A l’inverse, les élèves les plus privilégiés sont concentrés dans les lycées généraux et technologiques, dont l’IPS moyen est de 118, soit 16 points au-dessus de la moyenne nationale. Les lycées polyvalents, qui regroupent des élèves des voies professionnelle, générale et technologique, ont un IPS proche de la moyenne des lycées français, à 101,7.
Selon nos calculs, 84,2 % des lycées généraux et technologiques ont un IPS supérieur à la moyenne, tandis que 93,4 % des lycées professionnels ont un IPS inférieur à la moyenne nationale de tous les établissements.
Plusieurs choses expliquent ce déséquilibre. D’abord une donnée bien connue : l’incapacité du système français à résorber les inégalités de départ, qui fait que les enfants les plus pauvres ont aussi de moindres chances d’être performants sur le plan scolaire. Ensuite, la dévalorisation de la voie professionnelle, à l’exception de quelques filières prestigieuses, comme les métiers de bouche.
Biais à la défaveur des élèves issus des catégories populaires
« Le collège unique, qui est par ailleurs le dernier creuset commun de tous nos jeunes, dévalorise l’intelligence de la main, par opposition à l’académique, dénonce Pascal Vivier, secrétaire général du Snetaa-FO. Nos métiers sont mal présentés aux élèves, qui subissent leur orientation comme une forme de punition après de mauvais résultats. »
Cette mauvaise image tient aussi au fait que l’évolution salariale en France est fortement corrélée au diplôme. « Dans les pays anglo-saxons, vous pouvez entrer comme ouvrier et progresser dans l’entreprise », rappelle Vincent Troger, maître de conférences honoraire en sciences de l’éducation.
En outre, il existe bel et bien un biais à la défaveur des élèves issus des catégories populaires. En 2014, les chercheuses Nina Guyon et Elise Huillery ont démontré que, à niveau scolaire comparable, les élèves d’origine populaire ont une probabilité plus élevée de 93 % d’être orientés en bac pro, et plus élevée de 169 % d’être orientés en CAP.
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