Menu
Libération
Mode d'emploi

Age de départ repoussé à 64 ans, durée de cotisation, pénibilité : ce que contient la réforme des retraites

Data du jourdossier
Elisabeth Borne présente ce mardi après-midi le contenu du projet du gouvernement, qui comprend notamment un report de l’âge légal à 64 ans, au lieu des 65 ans initialement proposés, ainsi qu’une pension minimum fixée à 1 200 euros.
par Frantz Durupt
publié le 10 janvier 2023 à 15h45
(mis à jour le 10 janvier 2023 à 18h49)

Après un report au mois de décembre et trois mois de concertation avec les organisations syndicales, dont les propositions alternatives sur le financement des retraites ont été écartées, Elisabeth Borne a dévoilé ce mardi la réforme du gouvernement. Voici ce que contient ce projet qui entraînera un allongement de la durée de travail pour l’ensemble des métiers, mais comprend aussi des mesures sur la pénibilité, les carrières longues et la revalorisation des petites pensions pour les nouveaux retraités chiffrées à 1,7 milliard d’euros.

Un report de l’âge légal à 64 ans qui va frapper ceux qui ont commencé à travailler tôt

C’est le cœur du réacteur. Après de longues semaines de tergiversations, l’exécutif a finalement tranché pour un scénario consistant à reporter l’âge légal de départ à 64 ans, au rythme de trois mois supplémentaires chaque année, et non plus 65 comme Emmanuel Macron l’avait annoncé durant sa campagne. Concrètement, si la réforme entre effectivement en vigueur au 1er septembre, les premières personnes concernées seront celles nées au second semestre 1961. Au lieu de liquider leur retraite le jour de leurs 62 ans, elles devront attendre trois mois de plus. Parallèlement, la mise en œuvre de la réforme Touraine, qui a programmé un allongement progressif de la durée de cotisation nécessaire pour partir à taux plein, sera accélérée. Alors que cette durée de cotisation devait atteindre quarante-trois ans en 2035, pour les personnes nées à partir de 1973, ce sera le cas dès 2027, pour les personnes nées à partir de 1964.

En renonçant à un âge légal de 65 ans comme le chef de l’Etat l’envisageait d’abord, le gouvernement semble adoucir sa copie. Mais sa réforme n’en reste pas moins la plus brutale depuis celle menée par Eric Woerth sous le mandat de Nicolas Sarkozy, en 2010 : l’âge légal était alors passé de 60 à 62 ans. Car même si la Première ministre assurait encore, la semaine dernière, que personne ne devrait travailler quarante-sept ou quarante-huit ans, il y a bien des salariés qui devront travailler davantage que quarante-trois ans : ceux, encore nombreux parmi les personnes nées dans les années 60-70, qui seront entrés dans la vie active à 21, 20 ou 19 ans, voire encore plus tôt, qui auront travaillé sans discontinuer, et pour lesquels aucune pénibilité n’aura été reconnue. C’est-à-dire de nombreux travailleurs de l’industrie, de l’agroalimentaire, du commerce ou du médico-social. Bien qu’ayant accumulé toutes les annuités nécessaires à 62 ou 63 ans, ils devront continuer de travailler une voire deux années supplémentaires avant de partir et, ce, sans toucher le moindre bonus au titre des cotisations qu’ils auront continué de verser pendant ce temps.

C’est donc sur ces travailleurs que repose l’essentiel de l’effort financier demandé par le gouvernement. A l’inverse, le report de l’âge légal n’aura aucun impact pour les salariés ayant trouvé leurs premiers emplois significatifs à partir de 22 ou 23 ans, au terme d’études plus longues : quand ceux-là auront cumulé les annuités nécessaires, ils auront déjà atteint ou dépassé l’âge légal de départ. En revanche, certains d’entre eux seront touchés par l’accélération de la réforme Touraine. A noter : l’âge pour partir sans décote, sans avoir toutes ses annuités, reste fixé à 67 ans.

Fonctionnaires et régimes spéciaux également concernés

Comme les salariés du privé, les 5,7 millions de salariés de la fonction publique, qui cotisent déjà autant que dans le privé, devront travailler plus longtemps. Pour une écrasante majorité d’entre eux, la progression vers le nouvel âge légal et l’augmentation de la durée de cotisation s’appliqueront de la même manière. Les seules exceptions prévues concernent ceux qui peuvent aujourd’hui bénéficier d’un départ anticipé à 57 ans (voire 50 ans dans de rares cas) après avoir fait une part ou la totalité de leur carrière au sein des catégories dites «actives» (policiers, pompiers, soignants…). Mais même s’ils ne sont pas concernés par le nouvel âge légal, ces derniers subiront un relèvement de deux ans de l’âge d’ouverture de leurs droits.

Quant au mode de calcul de la pension, qui est basé sur le traitement des six derniers mois, il ne changera pas. Et pour cause : le système de rémunération des fonctionnaires, qui comprend une grande part de primes non prises en compte dans le calcul de la retraite, n’a pas changé non plus.

Dans le discours gouvernemental, les salariés actuels de certains secteurs (énergie) ou entreprises publiques (RATP, Banque de France), qui disposent encore du droit à un départ anticipé, semblent préservés : la désormais fameuse «clause du grand-père» s’appliquera à eux, ce qui signifie qu’ils n’auront pas à partir à 64 ans, le nouvel âge légal s’appliquant seulement aux nouveaux arrivants après l’entrée en vigueur de la réforme. Pour autant, tous les salariés actuels subiront un report de leur âge de départ minimal semblable au reste des actifs.

Des «carrières longues» rallongées

Pour adoucir la pilule, l’exécutif n’a cessé de mettre en avant ceux qui sont entrés plus tôt dans la vie active, en assurant qu’ils pourront continuer de partir plus tôt. Mais même s’ils sont épargnés par le nouvel âge légal, les futurs bénéficiaires du dispositif carrières longues devront eux aussi travailler plus longtemps. Aujourd’hui, il est possible de partir à 60 ans si l’on a cumulé quatre ou cinq trimestres avant 20 ans, ou 58 ans si l’on en a cumulé quatre ou cinq avant ses 16 ans. Il sera désormais possible de partir à 62 ans si l’on remplit les premières conditions. Cela signifie que certaines personnes ayant travaillé en continu depuis l’année de leurs 18 ou 19 ans ne pourraient partir qu’après quarante-quatre années d’activité, soit une de plus que les quarante-trois annuités nécessaires au terme de la mise en œuvre de la réforme Touraine. Un nouveau cas de figure sera introduit : celui dans lequel on a commencé à travailler avant 18 ans. On pourrait alors prendre sa retraite à partir de 60 ans, selon des critères qui restent à préciser.

Il faut noter que les départs anticipés pour carrière longue sont en baisse continue depuis plusieurs années. Alors qu’ils représentaient 28 % des départs en 2016, ils n’en représentaient plus que 20 % en 2021 (soit 126 000 personnes), selon la Caisse nationale d’assurance vieillesse. La tendance devrait se poursuivre puisque l’âge moyen d’entrée dans la vie active a sensiblement augmenté depuis les années 70.

Enfin, c’est une nouveauté, 3 000 femmes devraient être concernées par la prise en compte, dans le dispositif carrières longues, des périodes validées durant un congé parental. Ces périodes, précise le gouvernement, compteront aussi pour le calcul de la pension minimale.

Des promesses floues sur la pénibilité

L’enjeu est énorme compte tenu du nombre de salariés subissant des conditions de travail pénibles : en 2017, l’enquête Sumer (Surveillance médicale des expositions des salariés aux risques professionnels), menée par la médecine du travail, dénombrait au total 13,6 millions de personnes en France métropolitaine, soit 61 % des salariés, «exposés à un ou plusieurs facteurs de pénibilité lors de la semaine précédant leur visite médicale». Parmi ces travailleurs, «plus de 10,7 millions de salariés […] étaient concernés par des contraintes physiques marquées», recensées dans trois critères dits «ergonomiques» : des contraintes posturales pénibles (44 % des salariés concernés), le port répété de charges lourdes (8 %), et l’exposition à des vibrations (7,6 %).

Face à cela, le compte professionnel de prévention (C2P), censé permettre aux salariés exposés de cumuler des points et de s’en servir pour partir jusqu’à deux ans plus tôt, a largement montré ses limites, comme l’a encore relevé récemment la Cour des comptes : depuis sa mise en place en 2016, à peine 10 000 personnes ont pu s’en servir pour partir plus tôt. Certes, il est encore en train de se déployer, mais il a été considérablement vidé de son sens en 2017 par Emmanuel Macron, puisque les fameux critères ergonomiques cités plus haut en ont été retirés à la demande du patronat. Privant ainsi des millions de salariés de l’industrie, de l’agroalimentaire, du médico-social ou du commerce des précieux points nécessaires pour partir plus tôt. Et quand plus de 100 000 personnes partent chaque année à 62 ans avec un taux plein pour cause d’incapacité ou d’inaptitude – ce qui sera toujours possible, le gouvernement évoquant un coût de 3,1 milliards d’euros par an – c’est parce que la casse de leur santé est déjà très avancée.

Plutôt que de réintégrer les critères ergonomiques au C2P, ce qui aurait provoqué la bronca du patronat, le gouvernement a choisi de suivre partiellement une demande syndicale en prévoyant que l’exposition à la pénibilité devra être déterminée métier par métier au sein des branches. Mais ceci, dans le but principal de mettre en place des plans de prévention et de financer des reconversions, avec un fonds doté d’un milliard d’euros. La réparation, elle, consistera pour les salariés concernés à pouvoir partir à 62 ans à taux plein après une visite médicale obligatoire ayant établi qu’ils «ne sont pas en mesure de continuer à travailler». Quant aux critères existant actuellement dans le C2P, notamment le travail de nuit ou le travail en équipes alternantes (3x8…), les seuils déclenchant leur reconnaissance vont être baissés et le nombre de points cumulables sera déplafonné. Aujourd’hui, il n’est pas possible de gagner plus de 8 points par an – et encore, à condition d’être polyexposé – et plus de 100 points au cours de sa carrière. Au total, 60 000 personnes supplémentaires seront, selon le gouvernement, couvertes par le C2P. Le compte permettra également – nouveauté – de financer un congé de reconversion.

Des mesures timides sur l’emploi des seniors

C’est un sujet crucial puisque, comme l’admettait Elisabeth Borne elle-même quand elle était ministre du Travail, un échec sur l’emploi des seniors signerait l’échec de la réforme. En effet, les entreprises françaises, surtout les grosses, ont la fâcheuse habitude de se séparer prioritairement de leur personnel le plus expérimenté, comptant sur le fait que ces salariés, poussés dehors avec des indemnités, toucheront le chômage deux ou trois années avant de percevoir leur retraite. Quand bien même repousser l’âge légal de départ devrait entraîner mécaniquement une hausse du taux d’emploi des seniors, puisqu’ils seront nombreux à rester en poste plus longtemps, le risque est grand, aussi, d’allonger la durée au chômage – ou, pire, au RSA – de plusieurs centaines de milliers de personnes.

Pour y répondre, le gouvernement mise notamment sur la création d’un «index senior» évaluant la politique des entreprises de plus de 300 salariés en la matière. Les entreprises seront obligées de publier cet index annuellement pour «valoriser les bonnes pratiques et identifier les mauvaises», mais ces dernières ne seront pas pour autant sanctionnées. Pour «inciter» les seniors sans emploi à en reprendre un, le gouvernement compte aussi sur sa nouvelle réforme de l’assurance chômage, qui va réduire la durée d’indemnisation. Il veut enfin étendre la retraite progressive (qui concerne 23 000 salariés à ce jour) à la fonction publique, et soutenir le cumul emploi-retraite (500 000 retraités concernés aujourd’hui) : pour un retraité, prendre un emploi serait créateur de droits supplémentaires.

Un minimum à 85 % du smic pour les nouveaux retraités

C’est la grande promesse «sociale» de cette réforme : une retraite minimale de 1 200 euros, l’équivalent de 85 % du smic net, pour les retraités qui ont réalisé une carrière complète. Soit, en réalité, l’application d’un objectif inscrit dans la loi depuis 2003. Cette mesure entrera en application le 1er septembre 2023 pour tous les nouveaux retraités concernés. A l’horizon 2030, cette mesure coûterait, selon des documents du ministère du Travail, 1 milliard d’euros par an. Parallèlement, un geste sera fait pour les retraités actuels dotés d’une faible pension : celle-ci sera revalorisée, dans des proportions qui restent à préciser, pour les personnes qui ont travaillé au moins trente ans et n’ont pas pu faire une carrière complète – typiquement, des femmes ou d’anciens travailleurs indépendants.

Mise à jour 18 h 45 : Précisions après la conférence de presse du gouvernement

Pour aller plus loin :

Dans la même rubrique