Ces deux magistrats ont choisi le tribunal de Bobigny pour «la solidarité, l’adrénaline et son gros rythme»

Tout juste sortis de l’École nationale de la magistrature, Cécile Delignon et Clément Juy entament leur première année en Seine-Saint-Denis. Un tribunal en état de surchauffe permanente, mais aussi très formateur.

Tribunal judiciaire de Bobigny, le 13 janvier. Cécile Delignon et Clément Juy, jeunes substituts, ont tous deux 28 ans. L'une est à la division mineurs, l'autre à l'exécution des peines. Ils sont très occupés mais satisfaits de leur affectation en Seine-Saint-Denis. LP/N.R.
Tribunal judiciaire de Bobigny, le 13 janvier. Cécile Delignon et Clément Juy, jeunes substituts, ont tous deux 28 ans. L'une est à la division mineurs, l'autre à l'exécution des peines. Ils sont très occupés mais satisfaits de leur affectation en Seine-Saint-Denis. LP/N.R.

    La semaine dernière, Cécile Delignon, substitute du procureur au parquet des mineurs du tribunal judiciaire (TJ) de Bobigny (Seine-Saint-Denis), a été réveillée quatre fois en une nuit. Cette magistrate de 28 ans, tout juste sortie de l’École nationale de la magistrature (ENM), était de permanence. Elle a dû décider au pied levé de la suite à donner à une histoire d’adolescente fugueuse, une affaire de bébé qui ne respirait plus à l’hôpital, à une jeune fille qui venait déposer plainte après un viol…

    « La première chose qu’on m’a dite en arrivant à Bobigny, c’est de prendre cinq minutes pour réfléchir », rapporte Cécile. Pour la fugueuse, la procédure est balisée : « Il faut bloquer les caméras de surveillance, obtenir les autorisations pour géolocaliser l’enfant ». Cécile est seule chez elle à trancher mais en dernier ressort, elle sait qu’elle peut compter sur le procureur adjoint de permanence.

    Un exercice d’équilibriste permanent

    À l’autre bout de la chaîne pénale, Clément Juy, 28 ans également, substitut à la division de l’exécution des peines, doit décider s’il emprisone ou non une personne. Comme Cécile, il est issu de la promotion « Gisèle Halimi » de l’ENM. Déjà, il y avait une filiation avec Bobigny. Le nom de cette grande avocate de la cause des femmes est associé au procès historique de 1972, dans cette ville où elle avait œuvré à la dépénalisation de l’avortement.

    Au tribunal judiciaire, le combat se livre au quotidien. Dans le cabinet de Clément, les défèrements s’enchaînent à un rythme infernal : « Plusieurs dizaines par jour pour tout le tribunal », précise-t-il. Il doit mener un exercice d’équilibriste permanent : « Je pense à la surpopulation à (la maison d’arrêt de) Villepinte. Très certainement, l’homme que je vais incarcérer dormira sur un matelas au sol. Il faut prendre en compte le risque suicidaire. »

    « Une bonne ambiance » malgré des horaires à rallonge

    Devant l’avalanche de dossiers, Clément soupire : « Nous sommes obligés de choisir nos batailles. Il faut penser au sens de la peine. » L’erreur est toujours possible. Il sait qu’il risque une plainte de l’avocat pour détention arbitraire. Le jeune magistrat peut alors être tenu pénalement responsable.

    Le substitut hésitait entre Pontoise et Bobigny. Il s’est finalement laissé convaincre par le second. « Je m’étais dit Jamais je ne demanderai Bobigny, c’est trop. » Trop de violence, trop de dossiers, trop d’horaires à rallonge. Où les greffières s’épuisent. « On ne prenait que les urgences. On ne pouvait plus donner de dates d’audience », se souvient Cécile. Sans parler des locaux inhospitaliers qui abritent encore des toilettes à la turque pour les justiciables.

    « Mais on m’a parlé de la bonne ambiance qui y régnait et de la grande solidarité. Et je m’y sens bien », confie Clément. La solidarité comme l’activité judiciaire y tournent à plein régime. Ce sont les constantes du second plus gros tribunal de France en termes d’activité.

    Journée « cohésion » dans un escape game

    Le tribunal judiciaire de Bobigny accueille beaucoup de sorties de l’ENM. C’est aussi sa marque de fabrique. En septembre, une vingtaine de magistrats « novices » ont intégré la juridiction. Ici, on s’applique à recevoir ces jeunes pousses : en juin, une barbecue party s’organise au tribunal pour les nouveaux arrivants, puis à la rentrée, une journée « cohésion » du parquet a eu lieu dans un escape game à Bondy.

    Le tribunal de Bobigny n’est pas une punition. Au contraire. Les meilleurs éléments s’y précipitent. Cécile Delignon et Clément Juy étaient bien classés. Tous les deux sont sortis dans les 100 premiers sur une promotion de plus de 300 élèves. À l’ENM, on les appelle « auditeurs ». Ils ont bénéficié d’une formation de trente et un mois alternant cours et, en grande partie, des stages. « Bobigny est une juridiction attractive et emblématique. Il y a beaucoup d’adrénaline et un gros rythme », soulignent-ils.

    Le malaise s’est exprimé avec force fin 2022

    En signant pour Bobigny, ils n’ignoraient rien du profond malaise de ses magistrats. En décembre, une note d’alerte du président Peimane Ghaleh Marzban et du procureur Éric Mathais auprès de leur hiérarchie a eu un fort retentissement. La démarche était inédite : « Nous craignons pour la santé de nos collègues », écrivaient-ils. Un mois plus tôt, les magistrats en colère avaient symboliquement suspendu 49 robes noires, soit l’effectif supplémentaire nécessaire à une bonne administration de la justice en Seine-Saint-Denis.



    Cécile et Clément n’arrivaient donc pas en terre inconnue même s’ils ne sont pas du sérail. Originaires de Niort (Deux-Sèvres), les parents de Cécile travaillent dans les assurances. Clément, lui, a vécu dans les Yvelines, avec une maman enseignante. Au collège, en 3e, Cécile avait fait un stage d’observation à Bobigny, avec un juge de correctionnelle. Puis, à l’ENM, elle avait décroché un stage d’administratrice ad hoc à Bobigny, au sein de l’association SOS Victimes.

    « Je voyais que la communication était fluide. Les gens se parlaient. Je crois que c’est lié à la masse de travail. On va à l’essentiel quand on a beaucoup de contraintes, on prend plus facilement celle de l’autre. » Celle qui a songé embrasser un temps la carrière d’avocate apprécie aussi la bonne entente avec le barreau de Bobigny.

    Clément s’est également familiarisé avec les grosses structures : il a fait un stage au tribunal de Paris avant d’intégrer l’ENM. Puis il a été en immersion au TJ, ainsi qu’au commissariat de Bobigny. Avec le sentiment d’être dans le même bateau que les fonctionnaires de police.

    « Une hiérarchie à l’écoute »

    « Ils ont beaucoup de sorties d’école. Le manque d’effectifs y est criant. Ils sont soumis à des injonctions d’efficacité », analysent les deux substituts. Chargée du contentieux des mineurs, Cécile Delignon vante aussi le solide partenariat avec les institutions et le tissu local : « Je prends beaucoup de décisions de placement. Je sais que je peux compter sur des personnes fiables, de terrain, à la brigade de protection des mineurs. J’ai une relation de confiance. »

    En poste depuis cinq mois, Cécile et Clément se considèrent toujours en rodage. « Mais on a un super greffe et une hiérarchie à l’écoute. Nous ne se sommes pas livrés à nous-mêmes et en même temps, nous avons une grande autonomie. Nous sommes à fond », s’enthousiasment les deux jeunes magistrats.