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Interview

Sexisme en France : «Les réseaux sociaux sont intrinsèquement masculinistes»

Culture du viol, discrimination de genre, banalisation des violences sexuelles… Le cinquième rapport du Haut Conseil à l’égalité sur l’état du sexisme en France, publié ce lundi, démontre que le phénomène s’aggrave, notamment chez les jeunes. Sophie Barre, membre du collectif #NousToutes, y voit une «absence de volonté politique».
par Agathe Di Lenardo
publié le 23 janvier 2023 à 19h34

«La situation est alarmante» : c’est la conclusion du Haut Conseil à l’égalité (HCE), qui a publié ce lundi son cinquième rapport annuel sur l’état du sexisme en France. Le phénomène perdure, notamment chez les jeunes. Ainsi, 41 % des femmes âgées de 15 à 24 ans déclarent avoir vécu des situations inégalitaires à l’école ou dans leurs études. 22 % des femmes de 18 à 24 ans déclarent avoir subi un «acte sexuel imposé», c’est-à-dire une agression sexuelle ou un viol. Seuls 48 % des hommes entre 15 et 34 ans considèrent que l’image des femmes véhiculée par les contenus pornographiques est problématique, et ils sont 23 % à estimer qu’il faut parfois être violent pour se faire respecter. Sophie Barre, membre de la coordination nationale du collectif féministe #NousToutes, revient sur les implications de ce rapport.

Le rapport débute par ce constat : «Le sexisme ne recule pas en France. Au contraire, certaines de ses manifestations les plus violentes s’aggravent, et les jeunes générations sont les plus touchées.» Dans quels domaines le sexisme se manifeste-t-il chez les plus jeunes ?

Déjà, dans les établissements scolaires, très peu de choses sont faites pour établir l’égalité. Je suis enseignante et mère d’un petit garçon de 6 ans et je remarque qu’à l’école, les stéréotypes s’accentuent. Cela se traduit par une maîtresse qui distribue des gommettes princesses aux filles et chevaliers aux garçons. Les filles sont aussi très souvent complimentées sur leur apparence physique. Dès le plus jeune âge, elles sont associées au soin, à la faiblesse, tandis que les garçons sont valorisés. Cela a un impact sur l’orientation : les garçons choisissent davantage les filières scientifiques et ont donc de meilleurs débouchés que les filles. Il y a aussi la croyance que ces dernières ne maîtrisent pas leurs émotions.

Dès l’adolescence, on va donc retrouver du sexisme au sein des relations amoureuses et/ou sexuelles. C’est d’ailleurs chez les 15-25 ans que l’on retrouve le plus de violences dans le couple. Paradoxalement, alors qu’il existe la croyance que les filles ne maîtrisent pas leurs émotions, ce serait les garçons qui auraient des pulsions qu’ils ne sauraient pas contrôler. Mais le sexisme est aussi alimenté par les livres, par le cinéma, les séries, la musique, la publicité… et est bien sûr aussi entretenu par la sphère familiale.

Le HCE pointe du doigt la responsabilité de phénomènes nouveaux, notamment sur les réseaux sociaux ou dans la pornographie, qui banalisent des opinions violentes auprès d’un jeune public. Comment se traduit cette haine misogyne et comment expliquer sa recrudescence ?

Cette banalisation de la violence sexuelle, montrée comme une sexualité normale, c’est ce qu’on appelle la culture du viol. Elle est très présente dans la pornographie. Des viols y sont mis en scène, mais présentés comme une forme de sexualité banale. Il y a une véritable érotisation de la violence dans le sexe. Mais cette idée est aussi présente dans le reste de la culture consommée par les jeunes. Quant aux réseaux sociaux, ils sont intrinsèquement masculinistes. Par exemple, les algorithmes, notamment sur Instagram, vont censurer des propos féministes, égalitaires, et laisser passer des propos sexistes.

On observe parmi les hommes de plus de 65 ans davantage de conservatisme, c’est-à-dire qu’ils sont plus nombreux à «enfermer femmes et hommes dans des rôles sociaux très stricts». Mais, plus surprenant, on constate parmi les hommes de moins de 35 ans «un ancrage plus important des clichés masculinistes et une plus grande affirmation d’une masculinité hégémonique» : qu’est-ce que cela signifie ?

La masculinité hégémonique, c’est la représentation des caractéristiques considérées comme intrinsèquement masculines. C’est une construction sociale qui évolue avec le temps, en fonction des contextes sociaux mais aussi de la culture. Le développement des réseaux sociaux amène aussi une mise en scène de soi, une augmentation de la performance de genre, donc de la mise en scène de la masculinité. Par exemple aujourd’hui, la norme veut qu’un homme soit, entre autres, «viril», fort, du côté de la raison et moins de l’émotion et qu’il soit capable de séduire des femmes.

Le HCE propose un plan d’urgence massif et différentes pistes d’amélioration. En quoi peuvent-elles être efficaces dans la lutte contre le sexisme ?

En ce qui concerne la jeunesse, il est clair qu’il faut commencer par appliquer les trois séances annuelles d’enseignement obligatoires [depuis une loi de 2001, ndlr] à la sexualité et à la vie affective, du collège au lycée. Ces enseignements comprennent évidemment des bases de biologie mais apprennent aussi aux élèves ce que sont le respect et le consentement. Il est aussi urgent de former les enseignants, car on sait qu’ils ont des biais qui discriminent les filles. Et s’ils ne sont pas déconstruits, alors ce sexisme est transmis chez les enfants. Je pense qu’il y a là une véritable absence de volonté politique : l’Etat est coupable, car il a les capacités d’agir sur l’école. Concernant la régulation des contenus numériques ou l’interdiction des jouets genrés, il faut aussi s’y attaquer, mais la tâche est moins évidente, car ce sont là les grandes entreprises qui détiennent le pouvoir.

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