Fonction publique : comment accroître la diversité sociale ?

L'association La Cordée a remis à Stanislas Guérini 27 propositions visant à renforcer la diversité sociale dans la fonction publique. A l'heure où celle-ci connaît une crise d'attractivité, son manque d'ouverture est doublement problématique. Parmi les propositions : la possibilité d'un revenu minimum pour certains étudiants se préparant à un concours, un dispositif de pré-recrutement, une révision des épreuves de concours...

Pré-recrutement, revenu minimum, révision des épreuves d'admission : l'association La Cordée présente 27 propositions pour accroître la diversité sociale dans la fonction publique et par là "redonner toute sa force au service public".

Les membres de l'association, créée en 2016 par des anciens de la prépa Égalité des chances de l'ENA, soulignent combien la fonction publique subit "partout sur le territoire (...) une crise d'attractivité", avec près de trois fois moins de candidats aux concours externes de l'État qu'il y a vingt ans. Ces membres sont eux-mêmes agents des trois fonctions publiques et des étudiants "ayant en commun un parcours d'ascension sociale via la fonction publique". Plombé par "une réduction chronique de ses moyens et donc de son efficacité", le service public est aussi "miné par son manque d'ouverture sociale", déplore La Cordée.

Pour y remédier, l'association propose de mettre en place un "revenu minimum de 800 euros par mois" pour les étudiants les moins fortunés qui se préparent à un concours de la fonction publique.

La Cordée plaide aussi pour garantir un emploi "dès les premières années de licence" aux étudiants qui se forment à des métiers en tension (éducation, enfance, santé), pour autant qu'ils terminent leurs études et leurs stages. Dans les quartiers "politique de la ville" et en milieu rural, ce dispositif de pré-recrutement pourrait être étendu au-delà des seuls métiers en tension.

L'association veut aussi agir sur le recrutement en révisant les épreuves des concours, en diversifiant la composition des jurys et en obligeant leurs membres à suivre une formation sur la lutte contre les discriminations. "Le concours peut être un mode de recrutement intelligent, nous ne sommes pas contre", explique à l'AFP Damien Zaversnik, coprésident de La Cordée. "Mais nous demandons une réflexion collective" qui associerait chercheurs, employeurs, candidats et associations "pour que le concours soit un instrument de recrutement, de compétences et non pas de tri", ajoute-t-il.

La Cordée demande enfin que les administrations de plus de 1.000 agents élaborent un "plan de responsabilité sociale", et qu'un index de l'égalité professionnelle soit imposé chez tous les employeurs publics pour mesurer leur engagement en la matière.

L'association devait formaliser ces propositions ce mardi 24 janvier au soir lors d'un événement à l'Assemblée nationale, au cours duquel le ministre de la Fonction publique, Stanislas Guerini, devait s'exprimer. Ce dernier s'est vu remettre ces propositions plus tôt dans la journée au ministère.

Discriminations sociales… et d'origines

S'agissant plus précisément des recrutements dans la fonction publique, Damien Zaversnik juge les biais "intolérables pour un service public". Lors des entretiens d'embauche, c'est par exemple "la personne qui a un accent et à qui on va demander d'où elle vient", illustre Damien Zaversnik. Ou encore la candidate voilée à qui le jury va "poser des questions sur l'islamisme ou le terrorisme", ajoute-t-il.

Dans un dossier paru en 2022 et consacré à la diversité dans la fonction publique (voir notre article de novembre 2022), trois chercheurs ont identifié un biais qui fausse particulièrement les processus de recrutement. "Le critère de l'origine supposée" du postulant le pénalise, explique Yannick L'Horty, l'un des auteurs de l'étude.

Pour arriver à cette conclusion, les trois chercheurs ont analysé les réponses à près de 2.600 offres d'emploi pour des postes de cadre administratif et d'aide-soignante - deux métiers qui connaissent des difficultés de recrutement et où les employeurs sont donc plus réticents à refuser une candidature. Résultat : les candidats dont le nom a une consonance supposément maghrébine sont moins souvent rappelés par le recruteur ou conviés à un entretien d'embauche que les candidats dont le nom est supposé français. En d'autres termes, un postulant a 21% de chances de  moins d'être "recruté comme cadre public avec un nom à consonance maghrébine", selon La Cordée.

Dans leur étude de 2022, les trois chercheurs relèvent en outre que les discriminations à l'embauche sont "plus rares" côté État et "plus fréquentes" dans les collectivités locales et hôpitaux.

Public et privé confondus, "trois critères sont les plus pénalisants" pour les candidats, affirme Yannick L'Horty : "l'origine d'Afrique du Nord ou subsaharienne, la situation de handicap et la parentalité".

Pour réduire les biais de recrutement des employeurs publics, les ministres successifs ont introduit de nombreux dispositifs comme les "prépas Talents" qui permettent aux jeunes d'origine modeste de préparer les concours de la fonction publique dans de meilleures conditions. Une bourse annuelle de 4.000 euros ainsi qu'une aide au logement et à la restauration sont ainsi proposées aux candidats.

"On a pu constater une véritable écoute" des responsables politiques depuis quelques années, se félicite Mélissa Ramos, coprésidente de La Cordée.  "Les choses se sont transformées avec la crise d'attractivité que connaît la fonction publique, qui positionne différemment l'enjeu" de la diversité sociale, estime Damien Zaversnik. En pratique, les recruteurs publics n'ont pas d'autre choix que d'élargir leurs viviers de recrutement s'ils veulent continuer à répondre à la demande de services publics partout sur le territoire.

Mais parmi les mesures politiques visant à accroître la diversité sociale, "on ne sait pas ce qui marche", regrette Yannick L'Horty. Pour le chercheur, il existe un "contraste très net entre la masse d'actions déployées" par les gouvernements successifs et les rares évaluations de leur efficacité.

Les 27 propositions de La Cordée

  • Pérenniser et amplifier le dispositif "Prépa talents"
  • Mettre en place un revenu minimum de préparation aux métiers publics
  • Généraliser le pré-recrutement pour les métiers en tension de la fonction publique
  • Mobiliser et former les acteurs de l’emploi et de l’orientation aux métiers du service public
  • Reconnaître à chaque agent public (tout cadre d’emploi et tout statut) le droit à participer à un programme de mentorat labellisé
  • Faciliter l’exercice du droit au mentorat sur le temps de travail par le biais d’autorisations spéciales d’absence (ASA)
  • Accompagner la mobilité ascendante des agents publics non cadres dans leur parcours d’évolution professionnelle
  • Expérimenter des "pépinières de talents" intégrées à des administrations volontaires en vue de préparer une promotion interne
  • Refonder le système de rémunération des agents publics
  • Valoriser l'expérience de terrain
  • Réviser les épreuves de concours pour les centrer sur les compétences attendues et limiter les biais de discrimination
  • Mettre en place une banque d’épreuves communes d’admissibilité pour l’ensemble des concours de catégorie A et A+
  • Diversifier la composition des jurys
  • Introduire des citoyens tirés au sort dans les jurys des concours de la haute fonction publique
  • Limiter la possibilité d’être membre de jury de concours plus de deux années consécutives sur le même concours
  • Rendre obligatoire pour les jurys de concours une formation préalable sur la lutte contre les discriminations
  • Faciliter l’accès à la fonction publique des habitants des quartiers prioritaires de la ville et des territoires ruraux
  • Communiquer à grande échelle sur le sens, les valeurs et les réussites du service public
  • Imposer à chaque administration de plus de 1.000 agents l’élaboration d’un plan de responsabilité sociale
  • Systématiser le stage "de terrain" pour chaque élève d’une école de cadre de la fonction publique
  • Favoriser l’engagement citoyen des agents du service public à travers un dispositif de crédit "d’heures solidaires"
  • Développer le mécénat de compétences
  • Mener des campagnes régulières de "testing" sur le recrutement des agents publics contractuels dans les grandes administrations
  • Former les agents aux techniques de recrutement inclusif et aux compétences transversales
  • Déployer l’index de l’égalité professionnelle
  • Instaurer des Assises de la diversité dans la fonction publique
  • Un appel à initiatives visant à valoriser des pratiques innovantes en matière de diversité dans les administrations