C’est un cadeau de Noël avant l’heure qu’a reçu Jean (le prénom a été modifié) à la mi-décembre. Le master de droit pénal pour lequel cet étudiant de 22 ans à l’université de Pau s’était battu lui a enfin proposé une inscription définitive. « C’est un immense soulagement », confie le jeune homme, qui n’était jusqu’ici inscrit que provisoirement dans cette formation. A l’issue de sa licence de droit à Toulouse, il s’en était d’abord vu refuser l’accès : à l’été 2022, il a donc choisi de faire un recours en référé. « Seuls des masters dans le nord de la France m’acceptaient. Le caractère urgent de ma demande a été reconnu en raison de mon impossibilité financière à partir étudier aussi loin », précise l’étudiant boursier.
Jean a « la chance de pouvoir être hébergé » dans sa famille à Pau pour suivre cette formation, mais a dû utiliser une partie de la paie de son job d’été pour financer les frais d’avocat nécessaires à sa démarche. « Capacités financières pour changer de région d’études, autocensure, activités extra-universitaires pour se distinguer : non, les étudiants ne sont pas tous égaux socialement dans l’accès en master », résume son avocat, Rémy Dandan, qui accompagne plusieurs étudiants dans leur recours pour obtenir des places, notamment au nom du « droit à la poursuite d’études ». Les statistiques du ministère de l’enseignement supérieur lui donnent raison : en 2021-2022, la proportion d’enfants d’employés et d’ouvriers était de 31,9 % en licence, contre 21,5 % en master. A l’inverse, celle des enfants de cadres et professions intellectuelles supérieures passe de 29 % à 40,3 % entre les deux niveaux d’étude.
La difficulté à assumer le coût du déménagement pour partir suivre un master loin de chez soi, aussi prestigieux soit-il, fait partie des inégalités sociales qui se creusent entre la licence et le master. Cela explique aussi qu’environ 60 % des étudiants choisissent de faire leur master dans le même établissement que leur licence. Interrogé sur le sujet, le ministère de l’enseignement supérieur met en avant l’aide de 1 000 euros qui est proposée aux boursiers pour favoriser les changements de région académique, et qui a concerné quelque 8 000 étudiants en 2021-2022.
Double sélection
L’objectif fixé par les ministres dans les années 1980 de conduire 80 % d’une génération au bac, puis 50 % au niveau licence depuis les années 2000, amène de plus en plus de jeunes aux portes du master, sans que le nombre de places en M1 suive la tendance. Les récentes mobilisations des étudiants « sans master » et les questionnements dans le débat public sur les critères de sélection montrent que « les enjeux de la massification et de la démocratisation de l’enseignement supérieur sont désormais arrivés à ce niveau d’études », selon François Sarfati, professeur des universités en sociologie à l’université d’Evry-Paris-Saclay.
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