Que se passe-t-il dans l’un des plus importants organismes de recherche français, l’Institut national de recherche en sciences et technologies du numérique (Inria), placé sous la double tutelle du ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche et de celui de l’économie ?
Côté face, tout va bien pour ses 4 500 scientifiques répartis sur neuf centres, rémunérés par l’organisme ou ses partenaires. Budget 2023 en hausse de 47 % par rapport à celui de 2018. Des recrutements de chercheurs doublés depuis deux ans. Des partenariats nombreux avec des entreprises françaises comme La Poste, Orange, Atos, Naval Group, Dassault Systèmes. Un rôle central dans divers plans de relance en santé numérique, information quantique, intelligence artificielle…
Côté pile, le tableau est tout autre. Deux pétitions contre la direction, dont la dernière, lancée le 24 janvier, décrit un « institut malmené par sa direction et [qui] souffre de dysfonctionnements totalement inédits par leur ampleur et leur multiplicité ». Avec des en-têtes cinglants qui résument l’étendue d’un malaise persistant – « science maltraitée », « administration en souffrance », « instances malmenées », « organisation en déshérence » ou encore « institut en péril » –, elle a déjà été signée par plus de 430 personnes en interne, dont environ un quart des chercheurs employés directement par l’Inria.
L’inspection du travail a été saisie pour diverses situations de risques psychosociaux, impliquant des personnels administratifs et, fait plus rare, de recherche. Le médecin du travail coordinateur a démissionné en juin 2022 et n’a toujours pas été remplacé. Un conflit ouvert perdure depuis plusieurs mois entre la direction et l’une des instances indépendantes et paritaires de l’organisme, la commission d’évaluation (CE).
Témoignages anonymes
Cette dichotomie se retrouve dans la vingtaine de témoignages recueillis par Le Monde, dans plus de la moitié des centres Inria. Les tenants des positions les plus opposées se rejettent ainsi l’accusation de « nuire à l’image de l’organisme ». La plupart refusent de s’exprimer nommément pour ne pas envenimer la situation par de la personnalisation, ou par crainte de représailles internes. « On a la trouille », dit même un représentant du personnel, élu syndical, pourtant « protégé ».
Un des initiateurs de la pétition, en région parisienne, juge « la défiance irréversible avec la direction »
Un des initiateurs de la pétition, en région parisienne, juge « la défiance irréversible avec la direction ». « Quel que soit l’endroit où l’on regarde, rien ne va : politique scientifique, management, organisation, budget… », ajoute-t-il. Et, assez abattu, lâche : « On ne retrouve plus l’Inria qu’on a aimé. » Plusieurs témoins ont indiqué « être prêts à partir s’ils pouvaient ». Au contraire, d’autres dédramatisent. « On a mieux à faire que de perdre du temps à discuter de ces bêtises », regrette un émérite de l’Inria. « J’entends des craintes mais je ne les comprends pas. On continue les recherches comme avant, mais on fait aussi plus de choses. S’il y avait des baisses de moyens ou si on décidait d’arrêter l’informatique comme certains le disent, je protesterais », affirme Eric Fleury, directeur du centre Inria de Paris.
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