Financement de l’apprentissage : le gouvernement à la recherche du "juste prix" à prendre en charge

Alors que le gouvernement s’oriente vers une nouvelle baisse du financement des centres de formation d’apprentis, la question de la bonne méthode pour cibler les mesures d’économies se pose. France compétences continue d’accomplir son travail d’analyse de leurs coûts. De son côté, l’exécutif s’attelle à une régulation par la “qualité” des formations.

Elle savait le sujet sensible. Lors de l’université d’hiver de la formation professionnelle, qui s’est tenue du 25 au 27 janvier à Cannes, la ministre déléguée chargée de l’Enseignement et de la Formation professionnels, Carole Grandjean, a annoncé que la nouvelle baisse du financement des contrats d’apprentissage était reportée d’avril à juillet 2023. La première vague d’économies, intervenue en deux temps à l’automne dernier (lire notre article du 1er septembre et notre article du 7 novembre 2022) avait déjà provoqué une levée de boucliers du côté des centres de formation d’apprentis (CFA), inquiets des conséquences d’une diminution des "coûts-contrat" (lire notre article du 18 juillet 2022).

Analyse de la rentabilité des CFA

Comment expliquer ce report ? "On a constaté de très gros écarts entre les coûts observés au titre de la comptabilité analytique. Il faut que l’on regarde pourquoi il y a ce type d’écart et parfois les niveaux de prise en charge qui sont fixés par les CPNE [Commissions paritaires nationales de l’emploi]*. [...] Ce qu’on a pu constater aussi, c’est qu’il y a des marges brutes qui peuvent être importantes dans des certifications, donc cela demande un travail complémentaire", a avancé lors du congrès le directeur général de France compétences, Stéphane Lardy. Il indique que la commission "recommandation" de l’établissement public - chargé de réguler le système de formation professionnelle - a initié un travail pour "revisiter [la] doctrine sur le niveau de prise en charge", car les méthodes "ne sont pas immuables".

Publié après son intervention à l’UHFP, le 31 janvier, le premier rapport sur l’usage des fonds de la formation professionnelle de France compétences (en téléchargement ci-dessous) souligne qu’en 2021, le taux de marge moyen des CFA était de 11%, en hausse de 2,7 points par rapport à l’année 2020. Six CFA sur 10 présentent un résultat excédentaire. Avec des différences selon le statut des CFA, ceux du public et du privé étant "plus rentables que les consulaires ou associations", peut-on également lire dans le rapport. Plus le CFA est de petite taille, plus sa rentabilité est élevée, dévoile aussi le rapport. Plus globalement, la rentabilité de l’apprentissage "dépend également de la prise en compte du niveau des diplômes préparés combiné aux réalités sectorielles ainsi que des spécialités de formation proposées".

L’enjeu de la qualité

Que conclure de ces marges ? "On se tromperait à coller aux prix de revient", rassure Axel Cournède, conseiller formation et apprentissage de Carole Grandjean, qui souligne aussi que "les bénéfices qui peuvent être dégagés sont très majoritairement réinvestis dans les CFA". Enjambant l’étape de la deuxième cure minceur devant intervenir à l’été prochain, il met désormais en avant le critère de la "qualité" des formations pour déterminer à l’avenir le "juste prix" de l’apprentissage. "C’est le travail de ce prochain quinquennat”, indique-t-il.

Un sujet de longue haleine sur lequel France compétences commence à plancher en analysant les liens possibles entre les coûts de revient et les données présentes dans le système d’information InserJeunes, qui renseigne diverses données (taux de poursuite d’étude, de rupture, "valeur ajoutée" des formations). "On ne va pas faire ça pour le mois de juillet", s’est empressé de préciser Stéphane Lardy, réclamant d’établir au préalable la bonne méthode. Il met en garde contre les biais possibles d’une analyse de la qualité à travers le taux d’insertion, qui pourrait conduire à une forte sélection des candidats à l’apprentissage dans les CFA mais aussi provoquer des "yo-yo statistiques" selon la variation de l’insertion de leurs apprentis, d’une année sur l’autre, qui ne reflète pas la qualité d’une formation.

Vers un prix "unique" par certification ?

En attendant les résultats de ces nouveaux chantiers, France compétence continue de remplir sa mission légale consistant à pousser à la convergence des niveaux de prise en charge fixés par les 216 CPNE quand elles partagent le même titre ou diplôme. "Le sujet qui est posé à la commission recommandation, c’est d’avoir un niveau de prise en charge unique pour certains types de certifications", souligne Stéphane Lardy. Une orientation à laquelle David Derré, directeur emploi formation à l'Union des Industries et Métiers de la Métallurgie (UIMM), se montre a priori réticent. "Aujourd’hui, on est arrivé à la limite de cet objectif de convergence. On ne peut pas aller plus loin dans ce cadre-là, sauf à remettre en cause des politiques de branche", estime le représentant patronal, qui appelle lui aussi à la régulation par la "qualité" de l’alternance.

*Émanations des branches professionnelles qu’elles regroupent par secteurs d’activité, les CPNE sont chargées de proposer des niveaux de prise en charge des contrats d’apprentissage en fonction des titres et diplômes à France compétence qui leur adresse ensuite des "recommandations"​​​​​​