Une heure de soutien pour ne pas perdre pied en sixième

Le constat est sans appel : « Les résultats des élèves à la sortie de l’école élémentaire sont insuffisants : à l’entrée en sixième, 27 % n’ont pas le niveau attendu en français, près d’un tiers en mathématiques », estime le ministère de l’éducation nationale. L’un des nœuds du problème résiderait dans la « rupture brutale » que représente, pour certains élèves, le passage au collège.

Aussi, afin d’y remédier, Pap Ndiaye a annoncé que, dès septembre prochain, tous les élèves de sixième bénéficieront d’une heure de soutien ou d’approfondissement en français ou en mathématiques, en lieu et place d’une heure de technologie. Autre innovation : les professeurs des écoles volontaires pourront assurer, au sein du collège, cette heure de soutien.

Un tel dispositif n’est pas complètement nouveau. Il est largement inspiré d’une expérimentation en cours, depuis la rentrée dernière, dans l’académie d’Amiens : les « sixièmes tremplins ». Le collège Jean-Moulin de Formerie, commune de 2 109 habitants, dans l’Oise, est l’un des six établissements pilotes, repéré par le rectorat car il accueillait un nombre particulièrement important d’élèves dont les évaluations de fin de CM2 montraient des retards élevés en lecture et en calcul. « Les résultats de beaucoup de nos futurs élèves de sixième étaient inférieurs à la moyenne du département », développe Corinne Boulin, la principale de l’établissement. Par exemple, alors qu’un enfant est censé lire 120 mots à la minute à ce moment de la scolarité, certains en lisaient moins de 90. Ce qui annonçait de grosses difficultés. « Une telle lenteur empêche une bonne compréhension du texte. Or même en maths, il y a une part de lecture : il faut lire et comprendre l’énoncé », résume la principale.

Depuis, 28 collégiens ont intégré le dispositif, dont la philosophie se résume en un mot, selon Corinne Boulin : « donner un simple coup de pouce ». Aussi, la « sixième tremplin » n’est pas une classe spécifique qui rassemblerait tous les élèves en difficulté. Au contraire, ceux-ci sont répartis parmi leurs camarades et se retrouvent entre eux, par petits groupes, deux fois par semaine, à l’heure du déjeuner.

Louann en fait partie. La fillette, qui « aime l’école » et a plein de copines, arbore un T-shirt barré d’un grand « Really ? », comme si elle avait du mal à y croire. Et, de fait, elle vient de recevoir les « compliments » du conseil de classe du premier trimestre. Alors que rien n’était moins assuré. Pour elle, les difficultés scolaires ont commencé dès la maternelle. Sa mère Angélique raconte les innombrables séances d’orthophonie, « le vendredi après la classe », les exercices à la maison, les « moyens mnémotechniques » qu’elle a dû développer pour épauler sa fille diagnostiquée « dyspraxique » et « dysorthographique » en CE2. « Tout cela était possible grâce au soutien de l’école », témoigne Angélique. Les enseignants s’étaient, en effet, adaptés. Pour aider Louann à distinguer les B et P, les F et V, tout était bon : langue des signes, évaluations sur mesure, etc. Une attention grâce à laquelle, bon an mal an, elle a suivi.

Dans ce contexte, le passage au collège est vite devenu le cauchemar de la fillette, qui a même développé « un eczéma géant à cause du stress », explique la mère de famille. Raconter ses problèmes à chaque professeur, s’adapter à une pédagogie unique… autant d’obstacles qui semblaient a priori insurmontables. « Elle était dans une catégorie d’élèves effectivement en danger, confirme Corinne Boulin. Son trouble “dys” n’est pas assez sévère pour être reconnu comme un handicap et pris en charge comme tel, mais il l’empêche tout de même d’apprendre comme les autres. Typiquement, c’est le genre d’élève qui, lâché seul dans le grand bain, aurait eu du mal. »

L’histoire a été tout autre, grâce au dispositif « tremplin ». C’est Gaëlle Touzel, une professeure des écoles, qui l’a épaulée, à raison de deux ateliers par semaine, après la cantine. « Chaque séance se divise en deux temps. Tout d’abord, nous lisons un texte et je chronomètre les élèves une première fois. » Puis elle leur propose des jeux pour les inciter à aller plus vite. Exemple ? Lors du dernier atelier, elle a proposé le jeu du ping-pong. « Je prends deux ou trois élèves qui reprennent le texte en lisant une phrase à tour de rôle. S’ils veulent être compris par les autres, ils doivent aller vite et donc anticiper sur le mot d’après. Ça leur apprend ainsi à regarder la phrase dans son ensemble et non mot par mot. »

Une telle approche n’a pas tardé à produire des effets, reconnus par tous. Le niveau de français des élèves est bien meilleur, estime Aurélie Boey, qui enseigne cette discipline. « Ils ont acquis une confiance en eux qu’ils n’avaient pas, ils se sont ouverts. » Surtout, tous ont pu suivre les lectures obligatoires au programme, dont des extraits de l’Odyssée d’Homère et des nouvelles de Jack London.

Selon elle, cela tient beaucoup à la présence des professeurs des écoles. « Ils ont une expertise et un mode de transmission différent du nôtre, confirme Corinne Boulin. Ils sont plus mobiles dans les classes, passent de l’un à l’autre, fonctionnent beaucoup par îlots, c’est-à-dire qu’ils regroupent les tables pour plus de coopération. » Elle aussi constate des progrès importants. « Très vite, avant la Toussaint, on s’est rendu compte que les élèves “tremplins” se sont mis à fréquenter plus souvent le CDI pour emprunter des livres. La plupart ont rattrapé le niveau de lecture attendu à l’entrée en sixième­. Il leur reste encore la moitié de l’année pour être complètement alignés sur les autres », fait valoir la principale du collège. En mathématiques, en revanche, les progrès seraient moins spectaculaires, peut-être parce qu’ils n’ont qu’une heure par semaine.

Aussi, au collège Jean-Moulin, on ne partage pas les doutes de certains syndicats, qui avancent que cette généralisation des « sixiè­mes tremplins » pourrait buter sur l’éloignement des collèges des écoles primaires dans certains territoires, ou le manque de professeurs des écoles volontaires. De son côté, Louann est très fière. Pour la première fois, elle a réussi à lire un livre en entier et se prend à rêver de voler de ses propres ailes avant la fin de l’année. « Quand je lirai 120 mots par minute, ce sera fini », anticipe-t-elle. Avec 115 obtenus lors du dernier test, tous les espoirs lui sont permis.