On les appelle les « reconvertis ». Ils sont déçus par leur début de scolarité en grande école de commerce. Ils sèchent les soirées organisées par le bureau des étudiants, snobent les clubs les plus influents de l’école, préférant investir des associations à but humanitaire ou culturel, où ils développent des intérêts marginaux par rapport à ceux que leur formation est supposée leur inculquer. Il n’est pas rare de les voir s’inscrire à l’université, souvent en droit, mais aussi en philosophie, en lettres ou en sciences humaines, pour satisfaire un besoin de continuer à « s’enrichir intellectuellement ».
Les « reconvertis » figurent parmi les quatre profils d’élèves peuplant le « monde des HEC » Ecole des hautes études commerciales), identifiés et décrits par Yves-Marie Abraham dans un article paru dans La Revue française de sociologie, en 2007. « Sa publication a été retardée de plusieurs années, car la direction de HEC ne souhaitait pas qu’il paraisse », retrace le professeur en sociologie de l’économie. Mais son article a fini par devenir une référence dans le petit monde des grandes écoles de commerce : « Des collègues qui y enseignent continuent de le faire lire pour aider leurs étudiants à appréhender ce qu’ils vivent », affirme le professeur agrégé de HEC Montréal.
« Ce texte circule aujourd’hui encore au sein du campus. Il reste d’une véracité redoutable : on a tous identifié des “reconvertis” parmi nos camarades », confirme Victor. L’article d’Yves-Marie Abraham résonne d’ailleurs avec le parcours de l’étudiant de 23 ans, inscrit, en parallèle de ses études à HEC, en master de philosophie à la Sorbonne : « En école de commerce, les programmes sont très opérationnels. L’université, c’est une sécurité intellectuelle, elle m’a permis de continuer à m’épanouir dans mes études. »
Chaque année, comme lui, une minorité de jeunes étudiants en école de commerce investissent les bancs de la faculté, en quête d’un savoir dont ils s’estiment privés au sein des prestigieuses institutions. HEC ne comptabilise que les étudiants qui effectuent un double diplôme avec une université partenaire, en affaires publiques, en droit des affaires ou en management dans une université à l’étranger : ils étaient 225 en 2022.
Bataille administrative
« Un master in management [MiM] confère plutôt un profil généraliste management stratégie, donc ajouter un parcours à l’université donne une palette différente, soit plus spécialisée, soit plus ouverte », explique Julie Thinès, directrice des études pour les programmes pré-expérience à HEC Paris. Quant aux électrons libres qui construisent leur propre parcours en sciences humaines à l’université, ils ne seraient qu’une poignée : « Les programmes MiM ou master étant intenses et exigeants, il est plutôt déconseillé aux étudiants de suivre un double diplôme en parallèle dans un établissement non partenaire, car il est très difficile de concilier les deux », explique le service de presse de l’école.
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