Reconversion professionnelle : 35 % des praticiens y pensent

Ceux qui envisagent une reconversion sont 39 % à la considérer comme subie.

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Maud LAFON

Exercice

Qu'ils soient praticiens depuis la sortie de l'école ou après un autre parcours, vétérinaires atypiques ou aient déjà changé de métier, les vétérinaires sont, comme la population générale, sujets à la reconversion professionnelle. Un rapport* publié par Vétos-Entraide à partir de questionnaires adressés à différents profils de vétérinaires met en évidence un socle commun au désir de reconversion. Plus d'un tiers des vétérinaires en exercice depuis la fin de leurs études y songent.

Dans la continuité du rapport sur la vie étudiante vétérinaire réalisé en 2018 avec l'Association internationale des étudiants vétérinaires Nantes sur la qualité de vie et la santé des étudiants** (lire DV n° 1632), l'association Vétos-Entraide a souhaité approfondir la question de la reconversion professionnelle « récurrente au sein de la profession ». Elle a, pour cela, diffusé plusieurs questionnaires au printemps 2022 destiné à mieux connaître le profil de ceux qui pensent à se reconvertir ou se sont reconvertis et leurs motivations*.

Explorer ce sujet, « c'est se préoccuper des 40 % de consoeurs et confrères qui quittent le tableau de l'Ordre avant 40 ans » tandis que ceux qui avaient choisi un autre secteur d'activité ne sont pas non plus épargnés par ce phénomène panprofessionnel, rappellent les rédacteurs du rapport, nos confrères Marie et Thierry Babot-Jourdan de Vétos-Entraide, en citant le sociologue des territoires Jean Viard qui note que 15 % des Français envisageraient une reconversion.

Dans leur étude, ils constatent que 35 % des vétérinaires praticiens pensent parfois à se reconvertir.

L'analyse de leurs réponses permet la mise en évidence de facteurs prédisposant au « ras-le-bol » qui conduit à la tentation de reconversion professionnelle. Elle fait également émerger des pistes de réflexion et permet d'envisager des actions concrètes pour endiguer le phénomène forcément délétère dans une profession déjà en peine de recrutement et en sous-effectif.

Pour son enquête, Véto-Entraide a fait circuler quatre questionnaires destinés aux différents publics (vétérinaire en exercice dès la sortie de l'école, s'étant reconverti, n'ayant pas choisi d'exercer en sortant de l'école, ayant un parcours atypique) via ses réseaux sociaux pendant deux mois.

Les auteurs alertent sur le fait que les répondants, par leur nombre ou leur profil, ne sont pas représentatifs de la population vétérinaire inscrite au tableau de l'Ordre mais que « la quantité de répondants ainsi que la richesse des verbatims permettent de voir se dégager des éléments de réflexion tangibles ».

Vétérinaires exerçant en clientèle depuis leur sortie d'école

284 confrères ont répondu à ce questionnaire, à 87 % des femmes.

94 % ont débuté leurs études vétérinaires dans l'optique de soigner des animaux. 21 % envisageaient déjà de devenir libéral en clientèle.

Les trois quarts de la population ayant répondu au questionnaire exercent en canine et 22 % exercent en mixte, en rurale ou en équine.

Les vétérinaires répondants sont 42 % à exercer depuis moins de 10 ans, 35 % à exercer depuis plus de 11 ans et moins de 20 ans et 24 % à exercer depuis plus de 21 ans.

Ils sont libéraux à 42 %, salariés à 45 % et collaborateurs libéraux à 11 % (figure n° 1). Ils exercent à 49 % dans une structure de 3 à 6 vétérinaires. Les vétos solos constituent 15 % de la population étudiée.

Concernant la façon dont ils envisagent la suite de leur parcours professionnel, ils sont 35 % à penser parfois à se reconvertir (figure n° 2). 22 % y pensent très souvent ou vont le faire. 28 % des répondants s'épanouissent dans leur pratique et veulent continuer dans leur voie. 11 % persistent dans leur pratique de manière contrainte.

Ceux qui envisagent une reconversion sont 39 % à la considérer comme subie. Le même pourcentage revêt l'envie de découvrir autre chose.

Les motifs de reconversion évoqués par les répondants sont multiples : stress, fatigue, relationnel avec les clients, les collègues, envie d'autre chose, recherche d'équilibre entre vie privée et vie professionnelle, sens, valeurs...

57 % de ceux qui envisagent de se reconvertir ont pour raison principale les difficultés de conciliation vie professionnelle/vie privée (figure n° 3). Suivent la charge de travail totale (pour 55 %), la permanence et la continuité des soins (52 %) les difficultés et tensions avec la clientèle (50 %) et la peur des erreurs au travail (45 %).

La rémunération fait partie des motifs évoqués par ceux ayant répondu « autres » à la question.

En témoignages libres, ce sont aussi les difficultés au sein des équipes qui semblent le plus souvent évoquées comme facteurs de souffrances, suivies de la charge de travail, des contraintes administratives et de ressources humaines. Le manque de confiance en soi, la peur de l'erreur, le manque de reconnaissance et les salaires insuffisants, le besoin de retrouver du sens ou d'être en accord avec ses valeurs sont également évoqués.

Concernant le profil des répondants et les facteurs pouvant impacter la tentation de se reconvertir, l'étude ne met pas en évidence de différence significative entre les idées ou non de reconversion et la taille de la structure sauf pour les structures mono-vétérinaires. « L'exercice en solo induit un principe de réalité et la poursuite de l'exercice est plus souvent contrainte » , soulignent les rédacteurs.

Par contre, la relation est très significative entre être salarié et avoir envie de se reconvertir.

Le libéral montre pour sa part une plus grande tendance à l'envie d'une reconversion choisie par rapport à une reconversion subie.

« Ceux qui envisagent une reconversion et la subissent sont plus souvent seuls. Les couples avec enfants sont moins concernés », constate le rapport.

Il n'existe pas de différences statistiquement significatives entre femmes et hommes concernant les raisons de l'envie de se reconvertir mais « les hommes qui souhaitent se reconvertir citent plus de facteurs de stress que les femmes ».

Les facteurs qui amènent à l'idée de se reconvertir sont différents selon que le vétérinaire est libéral (plutôt charge de travail, permanence et continuité de soins, contraintes administratives et normatives), salarié (conflit vie privée/vie professionnelle, peur des erreurs, difficultés relationnelles avec la clientèle) ou collaborateur libéral (stress intermédiaires).

En conclusion de ce premier questionnaire, les auteurs estiment que « pour persister dans l'exercice clinique, il est préférable :

- d'avoir une bonne entente avec ses collègues, du soutien, des échanges techniques et humains pour satisfaire au besoin de reconnaissance, de réassurance, d'accompagnement et pour limiter les tensions et conflits, les pressions, la peur de l'erreur ; il semble qu'en améliorant le relationnel, le ressenti global de la difficulté du travail pourrait être très amélioré ;

- d'aménager ses conditions de travail pour moins de fatigue, un meilleur équilibre vie privée/vie professionnelle, pour être en accord avec ses valeurs. »

Vétérinaires s'étant reconvertis après avoir exercé en clientèle

Le deuxième questionnaire a été complété par 51 vétérinaires, à 86 % des femmes, ayant commencé leur carrière professionnelle par la pratique en clientèle et déjà effectué au moins une reconversion.

92 % ont débuté leurs études vétérinaires pour très majoritairement soigner les animaux et 37 % désiraient devenir libéral ou salarié en clientèle. 12 % avaient débuté leurs études vétérinaires pour trouver leur voie ou une opportunité lors des études, ce qui est deux fois supérieur à la population précédente, précisent les auteurs du rapport.

45 % des répondants se sont reconvertis après avoir exercé moins de 5 ans en clientèle (figure n° 4), ce qui fait dire à Marie et Thierry Babot-Jourdan que « les premières expériences en clientèle paraissent donc déterminantes à une réorientation ».

69 % exerçaient en canine, 54 % ont eu des vies professionnelles en mixte, rurale ou équine et 10 % ont eu des expériences dans d'autres filières. 33 % ont eu des expériences dans plusieurs domaines cliniques. 78 % étaient salariés.

Les réponses sur le type de structures montrent que les répondants ont pratiqué leur activité majoritairement dans de grosses structures.

84 % de la population qui s'est reconvertie exerce toujours la même activité au moment de l'enquête dont 100 % s'ils se sont reconvertis depuis moins de 5 ans. « Nous pouvons donc considérer que la reconversion est réussie », souligne le rapport.

La répartition des réponses concernant les raisons de la reconversion diffère de l'échantillon précédent (figure n° 5) et, pour cette population, c'est la peur de l'erreur qui arrive en tête.

Parmi les motifs non proposés dans le questionnaire et cités par les répondants viennent notamment l'arrivée d'une opportunité, une envie de changement, l'équilibre contribution/rétribution ou un événement de vie douloureux.

Parmi les répondants, 54 % sont reconvertis depuis moins de 5 ans, 20 % depuis entre 6 et 10 ans, 15 % depuis entre 20 et 11 ans et 10 % depuis plus de 21 ans.

Les causes de reconversion statistiquement significatives existent surtout dans la population des reconvertis depuis moins de cinq ans. Il s'agit en premier lieu de la permanence et la continuité des soins puis des difficultés relationnelles avec la clientèle et la charge de travail totale. Il n'existe que très peu de différences statistiques significatives quand les répondants pensent à leur ancien poste au-delà de 5 ans.

La moitié des reconversions se font dans le domaine vétérinaire : 23 ex-praticiens répondants exercent dans d'autres professions vétérinaires (laboratoires, recherche, expertise...) tandis que 23 ont quitté le milieu (enseignement, métiers agricoles, médecine...).

Vétérinaires qui ont choisi de ne pas exercer en clientèle en sortant de l'école

Seules 8 personnes, dont 7 femmes, ayant répondu au troisième questionnaire concernant les vétérinaires n'ayant pas exercé en sortant de l'école, le rapport ne permet pas de tirer des conclusions concernant cette population.

3 pensent parfois à se reconvertir et 1 répondant, souvent.

« La plupart des vétérinaires répondants à ce questionnaire ne se reconvertirait pas en clientèle alors que, pour la plupart, ils ont débuté les études vétérinaires pour soigner les animaux », indique le rapport.

Vétérinaires ayant des parcours atypiques

42 vétérinaires, à 81 % des femmes, ayant des parcours atypiques ont répondu au dernier questionnaire. A 90 %, ils ont débuté leurs études pour soigner les animaux.

Ils sont nombreux à avoir exercé en clientèle, dont 83 % en tant que salarié ou collaborateur libéral et 40 % en tant que libéral. Les autres métiers exercés sont nombreux : ISPV, dans l'armée, en laboratoire pharmaceutique, chercheur, enseignant dans une ENV, en industrie agro-alimentaire, en abattoir, métiers non vétérinaires comme manager dans une start up ou personnel médical en centre de vaccination.

20 % des répondants persistent dans leur métier parce qu'ils s'y épanouissent, contre 28 % de ceux qui ont choisi la pratique en clientèle et y exercent toujours. 15 % envisagent de se reconvertir contre 3 % du premier groupe. 44 % pensent parfois ou très souvent à se reconvertir, comme pour le premier groupe. 7 % persistent de manière contrainte dans leur activité contre 11 % des répondants du premier questionnaire.

« Cette population est sans doute plus encline à changer plus ou moins régulièrement de profession ayant déjà l'expérience de la reconversion », analyse le rapport.

A 65 %, les répondants n'envisagent pas d'exercer en clientèle. 22 % l'envisagent et 14 % peut-être.

L'envie de découvrir autre chose est le principal moteur à l'idée de reconversion de ce groupe.

Les motivations pour une reconversion sont diverses : le burn out, le retour à une expérience passée comme la clientèle, la recherche de sens et de conciliation vie privée/vie professionnelle.

Conclusion

« Dans les quatre populations étudiées, il n'existe presque aucune différence quant aux raisons pour lesquelles les personnes sont entrées dans une école vétérinaire et pour lesquelles leurs destins ont été différents », conclut le rapport.

« Les multiples facettes du métier de vétérinaire offrent la possibilité d'exercer le métier autrement que praticien, tandis que la formation polyvalente permet une adaptabilité pour explorer d'autres horizons », poursuivent les auteurs. Ils pensent « qu'il serait bon que la profession vétérinaire rationalise le secteur de la reconversion et établisse des ponts entre les divers métiers constituant la profession. Une meilleure information sur les différents métiers vétérinaires, pourrait limiter la fuite des diplômes vers d'autres secteurs non vétérinaires ».

Les résultats d'une autre enquête sur les étudiants vétérinaires souhaitant quitter le cursus ont été publiés dansLa Dépêche Vétérinaire n° 1652.

* Rapport disponible en ligne : https://vetos-entraide.com/document-reconversion-professionnelle-veterinaire-2022-ve/.

** Rapport disponible en ligne : https://vetos-entraide.com/rapport-souffrance-etudiants-2018/.

Figure n° 1 : Statut des vétérinaires ayant répondu au premier questionnaire
Figure n° 2 : Comment envisagez vous la poursuite de votre parcours professionnel ?
Figure n° 3 : Pourquoi envisagez-vous de vous reconvertir ?
Figure n° 4 : Nombre d'années pendant lesquelles vous avez exercé avant de vous reconvertir
Figure n° 5 : Raisons qui vous ont poussé à vous reconvertir

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1653

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