Quitter les études : une tentation pour 15,4 % des étudiants vétérinaires

Les élèves qui ont le plus envisagé de quitter leurs études sont également les plus enclins à estimer qu'ils manquent de pratique dans les ENV.

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Maud LAFON

Formation

Songer à quitter les études vétérinaires en cours de cursus est une pensée qui traverse parfois ou fréquemment l'esprit de 15,4 % des étudiants vétérinaires des écoles nationales françaises. Cette idée est plus importante dans les deux dernières années du cursus vétérinaire. Si les facteurs pouvant concourir à un meilleur bien-être semblent protecteurs contre cette tentation, l'absence ressentie de soutien de la part de l'établissement ou une charge de travail trop importante peuvent, à l'inverse, la favoriser. L'association Vétos Entraide, en collaboration avec l'Association internationale des étudiants vétérinaires Nantes, ont analysé ce phénomène en 2022, dans la continuité du rapport sur la vie étudiante vétérinaire réalisé en 2018.

Dans la continuité d'un rapport conduit en commun par l'association Vétos Entraide et l'Association internationale des étudiants vétérinaires (IVSA) Nantes sur la qualité de vie et la santé des étudiants des quatre écoles nationales vétérinaires (ENV) françaises en 2018* (lire DV n° 1632), les deux associations ont produit, début 2022, une douzaine de mini-rapports thématiques. Le premier aborde « Les doutes des étudiants concernant la poursuite de leur cursus universitaire vétérinaire » et vient d'être publié.

« En 2022, 15,4 % des étudiants songent « beaucoup à fortement » à quitter le cursus vétérinaire » (figure n° 1) », précisent les rédacteurs du rapport**. Lors de la rédaction du rapport général, en 2018, les étudiants étaient 13,9 % à avoir envie de quitter les études vétérinaires, des proportions sensiblement similaires.

Cette nouvelle estimation émane d'un questionnaire diffusé en février 2022 auprès des étudiants d'Oniris de façon anonyme. 300 étudiants y ont tout d'abord répondu.

847 réponses

Le questionnaire a ensuite été relayé sur les réseaux sociaux étudiants par Vétos Entraide à quatre reprises, entre le 15 avril et le 15 mai 2022, pour les quatre ENV françaises. « Il existe donc un décalage temporel de réponses entre Nantes et les trois autres ENV » , précisent les rédacteurs.

Au total, il a reçu 847 réponses exploitables, soit 25,2 % de la population étudiante des quatre ENV, un échantillon jugé représentatif.

Même si les données indiquent que le nombre d'élèves à avoir réellement renoncé à poursuivre leurs études vétérinaires est très faible, le fait qu'ils y aient songé est un indicateur à considérer pour toute la profession dans l'articulation entre l'obtention du diplôme et l'insertion professionnelle par des facteurs cumulatifs.

« Trop de travail, de stress, de pression, de charge mentale, de fatigue, peur de l'échec, peur de l'après, syndrome de l'imposteur »  et aussi « enseignement inadapté, démoralisant, désillusion du métier... »  : un verbatim riche illustre l'envie des étudiants de quitter le cursus (figure n° 2). Par des questions ouvertes, les étudiants étaient en effet invités à exprimer les raisons de leur tentation de quitter les études.

Les réponses au questionnaire permettent aussi de mettre en exergue les facteurs qui influencent cette tentation.

Elles montrent, par exemple, que la relation entre l'idée de quitter le cursus vétérinaire et l'école est peu significative. « Il semble toutefois qu'à VetAgro Sup, les idées de « très nombreuses fois de quitter le cursus » soient plus prégnantes que dans les autres écoles (8 % des élèves répondants de Lyon) » et elles sont vraisemblablement liées à certaines rotations cliniques particulièrement exigeantes, précise le rapport.

Importance de l'année d'étude

L'année d'étude est par contre un facteur qui influence cette pensée (figure n° 3).

Ainsi, si les interrogations sont fugaces et peu fréquentes chez les étudiants de premières années (VET1 et VET2), les étudiants de 5e et 6e années songent plus « souvent », voire « de très nombreuses fois », à quitter le cursus, « ce qui montre qu'alors même qu'ils sont proches de l'obtention de leur diplôme de docteur vétérinaire, la tentation de partir est souvent présente ».

Par contre, la modalité d'accès aux ENV n'apparaît pas en relation avec l'envie de quitter le cursus. « Nous pouvons en déduire que l'origine socio-économique des étudiants n'est pas en association avec cette idée », ajoutent les rapporteurs.

Assez logiquement, la corrélation est significative et négative entre le fait de trouver les études épanouissantes et celui de songer à quitter le cursus.

Le nombre d'heures dédiées aux études n'est, lui, pas en relation statistique avec la tentation de quitter le cursus mais, néanmoins, la charge de travail importante peut impacter certains individus.

Par contre, plus les élèves songent à quitter le cursus, moins ils sont impatients de commencer les cliniques.

Rythme soutenu non anticipé

En résumé, plusieurs facteurs semblent donc impacter la tentation des étudiants de quitter le cursus.

« Les élèves veulent s'épanouir durant leurs études mais ils sont nombreux à ne pas avoir réalisé l'exigence du cursus dans lequel ils se sont engagés et à ne pas avoir anticipé un rythme aussi important » , analyse le rapport.

Les étudiants indiquent même en souffrir physiquement et psychologiquement, deux paramètres en lien très significatif avec « songer à quitter le cursus ».

L'estime de soi académique médiocre des élèves est par ailleurs corrélée de manière très importante à cette option envisagée (figure n° 4).

Ainsi, se jauger en dessous de la moyenne académique est plus associé à l'idée de quitter, parfois, souvent ou de très nombreuses fois les études vétérinaires. Il convient toutefois de souligner qu'un tiers des élèves qui jugent leur niveau au-dessus de la moyenne songent malgré tout eux aussi à quitter le cursus de manière plus ou moins fréquente.

Formation qui a du sens

Autre item mis en exergue par leurs réponses au questionnaire : le sens et l'utilité donnés à l'enseignement prodigué, quand les étudiants n'en trouvent pas, sont en lien très significatif avec l'idée de quitter les études. A l'inverse, les élèves qui pensent que l'enseignement servira dans le futur métier en majorité ou totalement ne songent en même temps jamais à quitter le cursus.

De même, les étudiants qui considèrent les études trop longues ou trop exigeantes sont aussi ceux qui songent à les quitter.

Il apparaît également que les élèves qui ont le plus envisagé de quitter leurs études sont également les plus enclins à estimer qu'ils manquent de pratique dans les ENV.

A l'inverse, tout ce qui peut concourir au bien-être de l'étudiant et à son hygiène de vie semble protecteur vis-à-vis de l'idée de quitter le cursus comme, par exemple, la participation à la vie associative, la pratique modérée et régulière d'un sport, bénéficier d'un bon sommeil ou manger de façon équilibrée. Il existe par ailleurs une relation très fortement significative et linéaire entre la tristesse, la fatigue, avoir des idées noires ou avoir déjà fait un burn out  et songer à quitter le cursus. Le niveau de confiance en soi et de confiance en l'avenir compte également.

Accumulation de facteurs

Autres facteurs sociaux d'importance, les élèves dont les relations avec les autres sont faciles, ceux qui ont des amis et ceux qui ont le soutien de leurs proches songent beaucoup moins ou pas du tout à interrompre leurs études.

Être boursier, avoir fait un emprunt et songer à quitter le cursus sont significativement liés. « Intuitivement nous pourrions penser que des étudiants endettés s'accrochent coûte que coûte à leurs études pour rembourser leur emprunt, ou bien étant redevables à la nation par le biais d'une bourse, ils veuillent aller jusqu'au bout. Ce n'est pas le cas. Cela veut dire que l'idée de vouloir quitter le cursus est plutôt un ras-le-bol, que les facteurs s'accumulent » , analyse le rapport.

Les étudiants qui déplorent un soutien insuffisant de la part de l'école sont les plus enclins à envisager de la quitter. La considération que leur portent les enseignants est également un facteur qui compte.

L'avenir professionnel a aussi une influence. Ainsi, plus les élèves songent à interrompre leurs études, moins ils ont aussi envie de devenir praticien et plus ils manifestent des doutes quant à leur avenir (figure n° 5).

Ceux qui songent à quitter le cursus sont aussi ceux qui sont le plus enclins à avoir peur de devenir de mauvais vétérinaires.

Temps de travail et vacances

Concernant le temps de travail à la sortie de l'école, assez étonnamment, les étudiants qui envisagent de très nombreuses fois de quitter les études sont aussi ceux qui envisagent le plus souvent, un temps de travail modéré ou réduit alors que les élèves qui n'ont jamais songé à quitter le cursus accepteraient en même temps plus volontiers un temps complet avec des gardes de temps en temps.
« La logique est que, échaudés par leurs conditions de vie étudiante, les élèves veulent se protéger dans leur future vie professionnelle » , expliquent les rédacteurs du rapport.

De même, les élèves qui envisagent souvent ou à de très nombreuses reprises d'arrêter leurs études évoquent plus souvent « beaucoup de vacances et de temps libre » . A l'inverse, les étudiants qui ne songent jamais à interrompre leurs études pensent aussi que le plus important est d'avoir  « des collègues qui vous accompagnent et vous guident pour progresser » et moins souvent « beaucoup de vacances et de temps libre ».

Songer à quitter les études vétérinaires et craindre de ne s'épanouir dans le futur professionnel sont très significativement reliés et de manière presque linéaire. Il existe une nette différence entre les élèves qui ne songent jamais à quitter le cursus et ceux qui envisagent souvent ou à de très nombreuses reprises de le faire. La peur de ne pas s'épanouir des étudiants est beaucoup plus importante quand, en même temps, le doute s'installe quant à leur orientation.

Sens de l'engagement vocatif

« Penser à quitter le cursus induit un doute profond sur le sens de l'engagement vocatif vétérinaire souvent présent depuis l'enfance, dont les conséquences seront importantes dans les premiers emplois post-universitaires. L'articulation entre la formation universitaire et l'accompagnement professionnel est la pierre angulaire d'une insertion de qualité des jeunes générations dans les métiers vétérinaires. Les écoles d'une part, les organisations professionnelles, les syndicats, les professionnels eux-mêmes organisés en groupe, en réseaux ou dans des structures dites familiales, fonctionnaires ou en entreprises, les leaders d'opinion d'autre part ont tous leur rôle à jouer » , conclut le rapport.

Il apparaît que les élèves ont besoin d'être rassurés, d'être accompagnés et entendus dans leurs doutes quand ils existent par les écoles et la profession entière, dans cette articulation entre l'obtention d'un diplôme et l'insertion dans un milieu professionnel.

« Les causes de cette pensée de quitter les études sont à explorer plus largement afin de proposer des solutions opérationnelles et efficaces » , ajoutent les auteurs. La douzaine de mini-rapports thématiques explorant les données étudiantes de 2022, égrenés au cours de cette année, permettront de donner de nombreuses et nouvelles pistes.

* Rapport disponible en ligne : https://vetos-entraide.com/rapport-souffrance-etudiants-2018/.

** Marie et Thierry Babot-Jourdan de Vétos Entraide avec la participation de Clara Brunet de Gail et Carole Edel de l'IVSA Nantes.

Figure n° 1 : Avez-vous déjà songé à quitter le cursus vétérinaire ?
Figure n° 2 : pourquoi avoir songé à arrêter les études vétérinaires ?
Figure n° 3 : Croisement entre l'année d'études et la tentation de quitter le cursus
Figure n° 4 : Croisement entre le niveau académique ressenti et la tentation de quitter le cursus
Figure n° 5 : Croisement entre la tentation de quitter le cursus et le souhait de devenir vétérinaire non praticien

Article paru dans La Dépêche Vétérinaire n° 1652

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