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Reportage

Réseaux sociaux restreints avant 15 ans : pour des collégiens d’Auxerre, «ça se fait pas»

A peine sortis du collège Paul-Bert, les élèves pianotent sur leurs téléphones. Lorsqu’on évoque le projet de majorité numérique étudié ce jeudi à l’Assemblée nationale, certains crient à l’injustice quand d’autres y voient plutôt une bonne idée.
par Elise Viniacourt
publié le 2 mars 2023 à 7h32

A peine sortis de leur cours de maths, les copains dégainent les portables. Capuche de sweat sur la tête, l’un se marre en parcourant une conversation sur WhatsApp. Une main dans la poche, l’autre sur son smartphone, son camarade vérifie ses messages sur Snapchat. Ça rit, ça crie, ça se chamaille. Mais quand on explique aux collégiens rassemblés devant le collège Paul-Bert d’Auxerre, dans l’Yonne, que les députés de l’Assemblée nationale veulent mettre en place une majorité numérique à 15 ans, la troupe se calme. Et Issam, 13 ans, le plus grand en âge, en taille et en assurance, lâche sans retenue : «Ça se fait pas !»

Réseaux sociaux

On repère autour de l’adolescent quelques mines perplexes. Alors on explique : si la proposition de loi discutée en séance publique ce jeudi 2 mars finit par être acceptée, il leur faudra désormais l’autorisation de leurs parents pour continuer à regarder des vidéos du jeu Fortnite sur YouTube, de danses sur TikTok et pour faire des stories sur Instagram. «De toute façon, Insta, c’est pour les vieux», se moque Tess, 13 ans. Aïe. Plus sérieuse, la collégienne aux yeux clairs rebondit : «Je trouve que c’est plutôt une bonne chose pour lutter contre le harcèlement.» A ses côtés, un pote, sac à dos remonté au max sur les épaules, hoche la tête : «Et puis des fois on voit des dingueries sur les réseaux.» Comme quoi ? La vidéo d’un homme qui s’ouvre le crâne en sautant dans une piscine, des adultes qui dansent nus ou encore «une meuf qui mange un truc dégueu, j’ai pas compris».

«Ça nous rend pas imbéciles»

Piqué par le désaccord de ses amis, Issam revient à la charge : «Non mais en vrai, [la majorité numérique] ça va rien changer, c’est nul. Nous, les enfants, on a le droit de regarder les réseaux aussi. Ça nous rend pas imbéciles et des fois ça nous apprend même des trucs.» Il cite pour exemple le fait que les poissons, à la différence des humains, respirent grâce à des branchies. «Bah ça, je l’ai appris grâce à TikTok.»

La cloche sonne. Un nouveau groupe se forme avant un cours d’anglais. Des sixièmes, plus jeunes et moins appareillés que la bande d’Issam. Quand bien même l’âge minimum requis pour s’inscrire sur la plupart des réseaux sociaux est de 13 ans, tous ou presque ont un compte sur Snapchat ou WhatsApp (normalement interdit aux moins de 16 ans). Rien de surprenant quand on sait que, selon l’étude Born Social de l’agence de pub Heaven, 87 % des 11-12 ans utilisent régulièrement au moins une application sociale.

Et à la maison, tous ou presque sont surveillés de près par leurs parents. Lenny, 11 ans, petite bouille enfoncée dans un gros manteau, pousse un long soupir déchirant : «Moi j’ai le droit qu’à trente minutes de YouTube par jour…» Un copain bombe le torse : «Moi, c’est une heure et demie», se vante-t-il. Avant d’ajouter, penaud : «Mais aujourd’hui, je l’ai déjà utilisée…»

«Y aura qu’à tricher»

Autre couche de sécurité mise en place par les adultes : grâce au contrôle parental, la plupart des enfants ne peuvent pas installer de nouvelles applications sur leur téléphone. Morose, Lenny souffle : «Ça me demande un code quand je veux télécharger quelque chose…» «Bah moi, ce code, je le connais», le coupe Sophia, 11 ans. Queue-de-cheval en bataille, la collégienne espiègle raconte comment elle a téléchargé TikTok en secret en mentant sur son âge. Alors, pour elle, fastoche : si la majorité numérique est fixée à 15 ans, «y aura qu’à tricher».

Un peu plus loin sur le parking, deux mères, Rachael et Hanae, sont très loin de se douter de la conversation de leurs chérubins et de leurs camarades. La première a recours à une limite de temps et à une application de contrôle parental pour encadrer son ado de 14 ans, qui a eu le droit d’installer Snapchat il y a une semaine à peine. «On lui a indiqué les bases : ne pas accepter les demandes d’inconnus, nous prévenir s’il y a quoi que ce soit… Mais le tout, c’est aussi d’essayer de lui faire confiance», souligne Rachael.

Hanae, elle, a confiance en sa fille de 12 ans mais se montre méfiante vis-à-vis des plateformes. «Si l’école encadrait son propre réseau social, je la laisserai s’inscrire. Mais là, lui laisser le champ libre sur des sites dont on sait à peine qui les gère et comment ? Hors de question», assure-t-elle, avec fermeté. Chez elle, c’est simple : les réseaux sociaux, c’est non. Que ce soit à 12, 13 ou 15 ans.

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