La sélection en master a fait baisser de 10,9 points la poursuite d'études

Manon Pellieux Publié le
La sélection en master a fait baisser de 10,9 points la poursuite d'études
classement masters 2023 // ©  DEEPOL by plainpicture/Sigrid Olsson
L'Etudiant sort aujourd'hui son classement 2023 de la réussite en master à l'université. Les chiffres révèlent les conséquences de la sélectivité dès la première année de master : des taux de réussite qui augmentent mais une poursuite d'étude qui chute de 10,9 points. Une baisse qui se fait au détriment des catégories sociales défavorisées.

S'ils étaient 72,2% des diplômés 2016 d'une licence à poursuivre leurs études en master, ils ne représentaient plus que 61,3% parmi les diplômés 2020. La réforme de la sélection en master, imposant une sélection dès le M1, a donc eu des effets directs pour les étudiants. Depuis sa mise en place en 2017, le taux de poursuite d'étude en master n'a fait que baisser, sans qu'une stabilisation se fasse ressentir pour l'instant.

En parallèle, la sélection en master dès la première année a conduit à augmenter le taux de réussite en master. Avec la réforme, le taux de réussite atteint les 64,9% pour la session 2021, contre 55% pour la session 2018. Le taux de passage en master 2 s'améliore aussi de 11,4 points en quatre ans. En 2019, ils étaient 73,9% à accéder au master 2 contre 62,5% en 2016. Décryptage et infographie, EducPros fait le point sur la situation.

Sélectivité et spécificité des parcours font baisser la poursuite d'études en master

Toutes les disciplines sont concernées par la baisse du taux de poursuite d'étude en master universitaires, mais dans des degrés plus ou moins importants. Ce sont les diplômés d'une licence de psychologie qui semblent les plus touchés par la réforme. En 2020, les diplômés de licence ne sont que 46,4% à suivre un master en psychologie, soit une baisse de 32 points en cinq ans.

Cette baisse de la poursuite d’études en master peut s’expliquer notamment par une plus forte sélectivité à l’entrée. Ainsi à Strasbourg, l'université compte plus de 4.000 candidatures pour seulement 140 places en master de psychologie, selon Eva Louvet, doyenne de l’UFR de psychologie au sein de l’établissement.

Mais cette pression dans certains domaines peut aussi être liée à la discipline en elle-même qui peut avoir des caractéristiques spécifiques. C'est le cas de la psychologie qui forme à une profession réglementée par un titre, alors que les masters de droit ouvrent à de nombreux métiers dans le secteur.

Quelles spécialités sont les plus touchées par la baisse de la poursuite en master ?

La poursuite d'étude en master a fortement chuté depuis la réforme de 2017.
La poursuite d'étude en master a fortement chuté depuis la réforme de 2017. © Manon Pellieux/L'Etudiant

Une baisse des effectifs en masters depuis cinq ans

Autre constat, entre la rentrée 2015 et 2021, le nombre brut d'inscrits en master a augmenté. Les effectifs sont ainsi passés de 272.000 à 328.800 en six ans. Pour autant, la part d'étudiants inscrits en master parmi l'ensemble des effectifs universitaires diminue. Les étudiants en deuxième cycle représentent aujourd'hui 19,8% des inscrits en université contre 21,7% en 2015.

Dans sa publication Démocratisations ségrégatives et parcours éducatifs des bac+5 : une étude pour trois générations de diplômés de bac+5, le sociologue Philippe Lemistre explique que "la première décennie des années 2000 a vu les effectifs de masters doubler, ou presque. [...] Pour le niveau bac+5 en France, l'expansion scolaire du début des années 2000 pourrait donc sembler vertueuse." Cette augmentation du nombre d'inscrits en master est notamment dû au processus de Bologne. Mais selon le chercheur, "la diminution récente des inscriptions en master peut signaler que l’expansion scolaire tend vers son maximum".

La diminution récente des inscriptions en master peut signaler que l’expansion scolaire tend vers son maximum. (P. Lemistre, sociologue)

Pourtant avec le lancement de la plateforme de candidature unique Mon master, il est possible de s'interroger si la tension à l'entrée en master ne va pas s'accroître. Comme cela a été le cas avec Parcoursup, une telle plateforme peut donner une meilleure visibilité sur l'ensemble des formations de deuxième cycle. L'effet catalogue pourrait ainsi avoir comme conséquence une hausse des candidatures en master, et donc encore plus de concurrence entre les étudiants. Car pour l'instant, des places supplémentaires en master ne sont pas prévues au programme.

Sélectivité sociale et polarisation des masters

Les données du ministère de l'Enseignement supérieur montrent par ailleurs que les inégalités sociales se creusent entre les étudiants. Ainsi, la sélectivité sociale s'est accrue en dix ans avec une surreprésentation des étudiants issus de milieux favorisés dans les masters par rapport aux inscrits en licence : entre 2008 et 2010, 12,8% des enfants de cadres âgés de 25 à 30 ans déclarent avoir un diplôme de niveau master ou doctorat en moyenne. Dix ans plus tard, ce taux passe à 24,5%.

En parallèle, un second tri s'opère entre les masters eux-mêmes, notamment par domaine, mais aussi au niveau territorial. En effet, les auteurs* de la publication La concurrence par la sélectivité entre masters franciliens estiment que "les disparités sociales et scolaires de recrutement, que l'on sait plus marquées dans les zones à forte densité d'établissements, génèrent des effets d’étiquetage et une polarisation entre masters."

Ainsi, plus les formations sont nombreuses sur un même territoire, plus elles se concurrencent entre elles pour obtenir les meilleurs étudiants. Ce qui renforce la réputation positive ou négative d'une formation, et nourrit encore une fois la polarisation.

La polarisation entre les masters s'opère aussi d'un point de vue social. Les masters qui concentraient déjà beaucoup d'étudiants d'origine sociale favorisée se renforcent dans cette dynamique. "De ce fait, la réforme ne fait que prolonger une tendance préexistante à l’échelle des établissements" assurent les sociologues. Pour eux, "les résultats obtenus sur les modes de sélection des étudiants dans les masters du haut de la hiérarchie sont très proches de ceux étudiés à l’entrée des classes préparatoires en France".

Un constat qui complexifie donc encore un peu plus l'accès au deuxième cycle de l'enseignement supérieur, quand celui-ci n'est pas déjà freiné par la discrimination, comme le relève l'Observatoire national des discriminations et de l'égalité dans le supérieur le 9 mars dernier.

*Auteurs de la publication : Marianne Blanchard, Séverine Chauvel et Hugo Harari-Kermadec

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