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Libération
Reportage

A Lyon, le foot ne laisse pas les migrants sur le banc

Forum de l'inclusion économiquedossier
Avec le programme Fier, mené par l’Olympique lyonnais en partenariat avec l’association Kabubu, des personnes exilées ont la possibilité d’obtenir la qualification d’employé administratif et d’accueil au sein de structures sportives.
par Maïté Darnault, correspondante à Lyon
publié le 21 mars 2023 à 7h29
(mis à jour le 21 mars 2023 à 9h53)
Comment promouvoir une démarche inclusive et en assumer le développement ? Un dossier réalisé en partenariat avec l’Afdas à l’occasion de son Forum de l’inclusion économique dans le sport, le tourisme et le divertissement, le 21 mars à Paris.

Sa «passion» pour le foot a d’abord été empêchée, mais Ibrahim Barry est resté «déterminé». «J’ai été privé de cet espoir pendant longtemps, je n’ai pas eu l’occasion de le pratiquer», raconte d’une voix posée ce Guinéen de 22 ans. Il travaille aujourd’hui comme alternant au Vénissieux Football Club, dans la métropole de Lyon, après avoir intégré le programme Fier (pour «Football Inclusion Emploi pRimo-arrivants»), mené par l’Olympique lyonnais en partenariat avec l’association Kabubu, spécialiste de l’inclusion des personnes exilées par le sport, et l’organisme de formation Formapi ; un parcours coordonné et financé par l’Afdas (1). Il a été lancé à la rentrée scolaire afin de permettre à des hommes et des femmes réfugiés en France d’obtenir la qualification d’employé administratif et d’accueil au sein d’une structure sportive et d’animation.

Le programme se déroule en deux phases. Durant la première, de septembre à décembre, les «apprenants» retournent à l’école pour renforcer leur maîtrise du français et se former aux outils numériques. A la Toussaint, un stage leur permet de se tester chez un employeur. Puis ils signent un contrat de six mois, de janvier à juin. «Le premier stage permet de les voir sur le terrain, la plupart sont aujourd’hui en alternance dans la même entreprise», constate David Gouju, responsable de l’antenne lyonnaise de Kabubu. Et de souligner l’importance des cours intensifs de français : «Ça a vraiment permis d’élever le niveau de certains, qui animent aujourd’hui seuls des entraînements avec 20 gamins.»

Fuite à travers l’Afrique à 14 ans

C’est le cas d’Ibrahim Barry. Il prend en charge les séances hebdomadaires des enfants de moins de 5 ans et de moins de 10 ans, il participe à celles des élèves des classes à horaires aménagés foot de trois collèges de Vénissieux, il est référent de l’accueil de certaines équipes adverses lors des matchs le samedi et fait de l’animation le mercredi après-midi au «citystade» voisin avec les enfants du quartier… Sans compter les tâches administratives, telles les inscriptions pour les vacances ou l’élaboration des affiches des stages. «Chez nous, les stagiaires pratiquent vraiment, c’est la seule façon de pouvoir les suivre et les corriger si besoin, d’aider à structurer leur projet futur», explique Bailly Ouraga, salarié du Vénissieux Football Club et directeur de l’école de foot, qui draine les deux tiers des 1 150 licenciés du club.

Ibrahim Barry apprécie «toutes ces responsabilités». «Avec le temps», il apprend à pousser sa nature «assez timide». Face aux enfants, «il faut être patient, avoir de la maturité, faire attention à l’image qu’on donne, dit-il. C’est tout un mix de choses, être ferme et détendu, être à l’écoute et observer». Son parcours a des airs de revanche sur la vie. Son premier souvenir de ballon rond ? Un tournoi local, «j’avais 10 ans, mes parents ont refusé que j’aille jouer». Scolarisé en pointillé à l’école coranique de son village, il fuit la maison à 14 ans. «J’ai voyagé dans différents pays d’Afrique. J’ai travaillé, il fallait survivre. J’ai appris le français en route, je me suis remis à l’arabe», raconte le garçon, qui parle aujourd’hui quatre langues, autant de dialectes et aimerait commencer l’espagnol.

Le 6 mars 2016, il est arrivé en Italie par la mer. En Europe, il peut enfin «reprendre le sport». Il joue dans le camp de réfugiés où il reste un moment, puis fait un service civique d’un an, durant lequel il encadre des enfants pour des loisirs. Une expérience qui a compté pour candidater au club de Vénissieux, où Bailly Ouraga se félicite de son «implication» et de sa «volonté d’aller de l’avant». «Ce programme vise à faire du sur-mesure, chaque personne est connue, écoutée, encouragée, explique Maëlle Trarieux, directrice RSE (responsabilité sociétale des entreprises) de l’Olympique lyonnais et déléguée générale de l’OL Fondation. Et ça nous permet de nous rapprocher de nos clubs amateurs partenaires, en les aidant à accueillir des personnes utiles à leurs structures.»

Du Yémen à la Croix-Rousse en passant par l’Inde

Ezz al-Dhubhani a, lui, été embauché au club Lyon Croix-Rousse Football. Il encadre les moins de 9 ans et est référent de l’équipe féminine, limitée pour l’heure à une classe d’âge. Il a justement été chargé de développer cette mixité, «pas suffisante dans une structure comme ça», juge en connaisseur ce Yéménite de 28 ans. Il a commencé à jouer au foot à 4 ans et n’a «jamais arrêté». A 17 ans, il part aux Etats-Unis, à Hawaï, pour un échange lycéen. Au sein de l’American Youth Soccer Organization, il est sur le terrain en défense ou gardien et encadre durant trois mois une équipe de jeunes filles. En cours, il apprend les bases du français. De retour au Yémen, il devient prof d’anglais, puis obtient un visa pour l’Inde où il réussit une licence de business management.

La guerre ayant éclaté dans son pays, il parvient à intégrer une académie de foot en Inde. Son visa finit par expirer. Sa famille préfère le savoir en sécurité à l’étranger, alors il demande l’asile en France, qu’il obtient en 2020 pour quatre ans. «La première chose importante a été de trouver du travail, mais ce n’était pas facile à cause de la langue», raconte Ezz al-Dhubhani. Avant d’intégrer Fier, il a travaillé comme paysagiste ou agent de maintenance de trottinettes électriques. «Le secteur du foot, c’est un morceau de rêve. J’ai un bac + 3, voyagé aux Etats-Unis mais quand je suis arrivé en France, j’ai dû recommencer une nouvelle vie à zéro. C’est difficile à accepter, il faut être motivé pour avancer mais là, j’ai trouvé ma place.»

Décrochage scolaire

Le programme Fier a aussi permis à d’autres d’apprécier la leur : durant les trois premiers mois d’apprentissages théoriques, cinq jeunes du centre de formation de l’OL en décrochage scolaire ont été associés à la promotion afin de «les remobiliser au contact d’un public ultramotivé pour s’intégrer», explique David Huttin, coordinateur emploi formation à l’OL. Au-delà de l’objectif de rattrapage, cette rencontre avec des élèves du même âge, fans de foot mais aux histoires aux antipodes a permis de faire évoluer leur regard sur l’exil. De faire jouer tous ces jeunes à égalité.

(1) L’Afdas est «l’opérateur de compétences» (Opco) des secteurs de la culture, des industries créatives, des médias, de la communication, des télécommunications, du sport, du tourisme, des loisirs et du divertissement. L’organisme est ainsi en charge de l’accompagnement des entreprises et particuliers dans la formation professionnelle et l’alternance dans ces secteurs.

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