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Reportage

Marseille : des bâtisseurs d’insertion au fort d’Entrecasteaux

Forum de l'inclusion économiquedossier
L’ancien site militaire est restauré depuis vingt ans par des personnes éloignées de l’emploi salariées par l’association Acta Vista. Les espaces rénovés doivent devenir accessibles au public à partir de 2024. L‘association La Citadelle, en charge des lieux, souhaite en faire un «lieu de vie et culturel pour tous».
par Caroline Delabroy
publié le 21 mars 2023 à 2h34
(mis à jour le 21 mars 2023 à 9h54)
Comment promouvoir une démarche inclusive et en assumer le développement ? Un dossier réalisé en partenariat avec l’Afdas à l’occasion de son Forum de l’inclusion économique dans le sport, le tourisme et le divertissement, le 21 mars à Paris.

Durant vingt-cinq ans, il a été de la «dream team» des barmans, de ceux qui suivent la jet-set où elle va selon les saisons et s’achètent «des pompes à 400 euros, par mimétisme avec les clients». Pas vraiment le style, alors, à s’user les mains dans la pierre et la chaux sur un chantier d’insertion pour restaurer le fort d’Entrecasteaux – appelé aussi Saint-Nicolas – posté à l’entrée du Vieux-Port à Marseille. Mais à la quarantaine, le burn-out est passé par là. «J’étais à Cannes, au Martinez, j’ai démissionné sans sommation, rembobine Christophe Guédon, à présent 52 ans. J’avais le sentiment de perdre ma vie à la gagner, d’aller chaque jour au fond de la mine. Pas de chômage, au début pas de RSA, j’ai fait une bonne descente aux enfers.» Une association l’aide à sortir de la rue. «Lors d’un pique-nique solidaire au Pharo, une visite est organisée en chemin au fort Saint-Nicolas, poursuit-il. Je découvre qu’il y a là un chantier, et que c’est accessible à des gens comme moi.»

«Le bâtiment, cela mène à tout. Je leur dis souvent que s’ils sont bons dans quelque chose qui ne leur convient pas, ils seront très bons dans quelque chose pour lequel ils auront de l’intérêt.»

—  Luc Boixadera, encadrant formateur à La Citadelle

Le lieu, qu’il qualifie de «solaire», fait beaucoup pour son retour dans le monde du travail. «On est dans un monument historique, un fort militaire du XVIIe siècle, c’est un vecteur de fierté de se voir confier un tel joyau du patrimoine», dit-il, embrassant du regard la vue qui porte loin, vers le fort Saint-Jean du Mucem en face. D’autant que ce «joyau» est encore très secret, le site de cinq hectares n’ouvrant que lors des Journées du patrimoine. Mais les choses changent. La ville en a confié la gestion à l’association La Citadelle de Marseille, membre du groupe SOS, mastodonte de l’économie sociale et solidaire. «L’idée est d’ouvrir par phases successives les espaces restaurés, avec une partie des jardins en avril 2024 pour l’arrivée de la flamme olympique, détaille Pâquerette Demotes-Mainard, directrice générale. Ce sera un lieu de vie et culturel pour tous, une sorte de petite ville dans la ville où l’on pourra se balader, boire un verre, créer. L’inclusion fait partie du fil rouge et conducteur de La Citadelle. C’est un projet qui puise ses racines dans l’action portée par Acta Vista depuis vingt ans.»

Cette structure d’insertion par le patrimoine mène en effet un vaste chantier de restauration du site, qui doit se poursuivre encore une quinzaine d’années. Près de 300 personnes éloignées de l’emploi s’y forment chaque année au diplôme de maçon du bâti ancien. A raison d’une semaine sur le chantier alternée avec une semaine en atelier pédagogique, le tout dans le cadre d’un contrat d’insertion de six mois, renouvelable une fois. «La majorité ne se destine pas à ce métier mais cela va être un levier pour la confiance en soi, la valorisation de ses compétences», explique Thierry Seccia, directeur délégué de BAO Formation, l’organisme qui chapeaute les formations pour Acta Vista.

«Le bâtiment, cela mène à tout, enchaîne Luc Boixadera, encadrant formateur. Je leur dis souvent que s’ils sont bons dans quelque chose qui ne leur convient pas, ils seront très bons dans quelque chose pour lequel ils auront de l’intérêt.» Dans l’atelier, il a accroché aux murs une mappemonde et des photos de monuments du monde entier, pour que chaque nationalité s’y retrouve. «Les fois où je sens que certains lâchent, ce sont des supports qui aident, avance-t-il. Notre méthode de maçonner est universelle.» Ici, pas de grands discours mais une pédagogie par le geste. Et le concret. Ce jour-là, Ahmed Debili, 32 ans, s’attelle à un dallage au sol en suivant un plan précis. Il a aussi élevé un muret de pierres. «Je laisse ma touche ici», sourit-il, même s’il s’imagine plutôt à l’avenir installateur de caméras de surveillance.

«Un véritable tremplin»

Dès cet été, le site va accueillir des visites guidées et des événements culturels. De nouveaux métiers vont ainsi émerger, pour lesquels La Citadelle de Marseille entend s’inspirer du modèle social des chantiers d’insertion. «Nous avons rencontré l’Afdas pour parler de ces enjeux, explique Mathilde Rubinstein, la directrice déléguée. Nous pouvons accueillir des stagiaires qui ont envie d’explorer ce secteur d’activité. Faire de la sécurité sur un site culturel, cela requiert par exemple des compétences et une approche différente du public que dans un centre commercial. Ce serait un véritable tremplin, vu tous les besoins touristiques du territoire.» Sans oublier les éventuels transfuges d’Acta Vista.

Féru d’histoire, Christophe Guédon trace la voie : cette semaine, il débute une formation d’accueil touristique. Avec à la clé un emploi à La Citadelle, où il compte bien rester «jusqu’à la retraite».

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