BFM Business
Conso

Pourquoi la France compte de plus en plus de boulangeries malgré les difficultés du secteur

"L'ami du pain" à La Rochelle, la plus petite boulangerie du monde.

"L'ami du pain" à La Rochelle, la plus petite boulangerie du monde. - Xavier Leoty

Confrontées à la hausse des coûts de l'énergie, les boulangeries ont relativement bien tenu le choc en 2022. Le nombre d'entreprises du secteur est même au plus haut depuis deux décennies.

Factures d'énergie qui explosent, concurrence accrue de la grande distribution, arbitrage des consommateurs... La période actuelle n'a rien de favorable au secteur de la boulangerie. Et pourtant, malgré ses nombreux obstacles, le secteur tient le choc.

Selon les données du cabinet d'étude Altares spécialisé dans les défaillances d'entreprises et relayées par RTL, le nombre de boulangeries qui ont ouvert en 2022 a dépassé de peu le nombre de fermetures.

En 2022, ce sont ainsi 2538 entreprises dans le secteur qui ont vu le jour contre 2527 cessations d'activité, soit une légère progression de 11 entreprises. Dans le détail, ce sont 2086 premières boulangeries (entreprises de boulangerie) qui ont été créées auxquelles se sont ajoutés 452 établissements supplémentaires (un deuxième voire un troisième magasin).

Un "ouf" de soulagement pour le secteur qui a bel et bien souffert l'année dernière. Selon Alteres, sur les 2527 cessations d'activité, ce sont 874 entreprises qui ont fait faillite, en augmentation de 124,7% sur un an. Ce nombre reste toutefois inférieur à leur niveau d'avant Covid où l'on dénombrait entre 900 et 1100 faillites par an.

Alerte sur les défaillances

"Il faut rester prudent, ce n'est pas encore gagné, prévient Thierry Millon, le directeur des études d'Altares. En janvier 2023, on a dénombré 116 défaillances, le niveau le plus haut pour un mois de janvier depuis 20 ans. Mais le secteur est solide et reste attractif. Il a su se renouveler en dépit des difficultés et de la concurrence des supermarchés dans les villes moyennes."

Une conjoncture peu favorable mais une dynamique solide sur la durée. Bien loin de la mort redoutée de la boulangerie traditionnelle, le nombre d'entreprises est en progression constante depuis plusieurs années.

La France comptait 34.225 sociétés en 2019 selon CMA France, le réseau national des chambres des métiers et de l'artisanat, contre 35.166 à fin 2022, soit un petit millier de plus. Ce qui représente un total de plus de 39.000 boulangeries sur tout le territoire (certaines entreprises possèdent plusieurs établissements).

Après plusieurs décennies de recul pour la boulangerie (45.500 en 1970 à moins de 33.000 dans les années 2000), leur nombre est reparti à la hausse depuis une douzaine d'années. À l'image d'ailleurs de l'ensemble des commerces de bouche qui se sont remis à éclore dans les centres-villes après les avoir désertés comme les fromageries, les poissonneries, les pâtisseries, les chocolateries et autres épiceries fines.

Un phénomène particulièrement marqué dans les régions les plus densément urbanisées. Ainsi en Ile-de-France, la progression du nombre de boulangeries est spectaculaire. La région parisienne compte 5400 boulangeries, soit une augmentation de 20% ces cinq dernières années. Si la capitale concentre évidemment le plus grand nombre avec 1360 établissements à fin 2022, ce n'est pas dans Paris que la progression est la plus importante (+9% depuis 2017). En Seine-Saint-Denis (+35%), dans le Val-de-Marne (+27%) ou le Val-d'Oise (+26%), la hausse est encore plus spectaculaire.

La boulangerie, "fast-food" à la française

La tendance est la même (à un degré moindre) dans la plupart des régions de l'Hexagone. En Auvergne Rhône-Alpes, on recense près de 1700 ouvertures de boulangeries depuis 2018, plus de 1300 en région Provence Alpes Côte d'Azur et presque autant en Nouvelle-Aquitaine, selon Altares.

Des chiffres qui vont à rebours de la croyance selon laquelle les boulangeries seraient victimes d'une grande distribution expansionniste. Car malgré les ouvertures nombreuses de grandes surfaces dans les villes moyennes, les achats de pains se font encore majoritairement en boulangerie. Selon les données de la Confédération nationale de la boulangerie-pâtisserie française (CNBPF), la boulangerie artisanale représente toujours 60% des ventes de pain en France, contre 31% pour les terminaux de cuisson et 9% seulement pour les Leclerc, Carrefour et autres Super U.

"Il y a de plus en plus d'artisans qui s'installent dans les quartiers, constate Dominique Anract, le président de la Confédération des boulangers. Le Covid a ramené des gens dans leur commerce de quartier, il y a l'importance du lien social pour les personnes âgées, on voit des personnes venir discuter alors qu'avant c'était plutôt au café."

Surtout le secteur s'est profondément transformé ces deux dernières décennies. Sandwich et salade du midi pour les salariés, pizzas, tartes, pâtisseries, repas sur place... La boulangerie est devenue une sorte de "fast-food" à la française. Le pain ne représente d'ailleurs plus que 40% de l'activité globale du secteur estimée à 11 milliards d'euros par an.

Plus de jeunes en apprentissage

De nouvelles tendances de consommation anticipées par les grandes chaînes de boulangeries. Créé en 2004 dans le sud de la France, le groupe Marie Blachère a ouvert plus de 700 établissements en moins de deux décennies et a réalisé l'année dernière 800 millions d'euros de chiffre d'affaires. Dans son sillon, d'autres groupes se sont lancés avec succès dans l'aventure. Ange compte ainsi désormais plus de 200 boulangeries et Louise une grosse centaine.

Des chaînes qui ont dupliqué les méthodes marketing de la grande distribution (large choix, prix bas, produit gratuit...) au monde de la boulangerie traditionnelle.

"Ils ont introduit le "low-cost" dans un produit de base, résume Bernard Boutboul, le président de Gira Conseil, spécialisé dans la restauration. Ils font venir les clients pour la baguette et ils leur vendent autre chose: une tarte, un sandwich, une pizza... Ça leur a permis de dégager des marges pour financer leur croissance. C'est la stratégie de "McDo" d'il y a 40 ans: ils ouvrent massivement pour étouffer la concurrence."

Un succès qui aiguise les appétits. Car c'est une autre idée reçue balayée par les statistiques, le métier de boulanger a plus que jamais la cote auprès des jeunes. Le nombre d'apprentis en boulangerie-pâtisserie est ainsi passé de 21.000 en 2021 à 29.000 en 2022. Et surtout de plus en plus de femmes qui représentent désormais plus de 30% des jeunes en apprentissage. Le succès des émissions culinaires comme Le Meilleur pâtissier ont participé à redonner du lustre aux métiers de bouche ces dernières années auprès des plus jeunes.

Reste que le métier reste difficile et la confrontation à la réalité peut s'avérer difficile.

"On perd 25% d’apprentis la première année, reconnaît Dominique Anract. Il y a un passage difficile, mais dès qu’ils montent en compétences, ils savent qu’ils ont un métier entre les mains."

Frédéric Bianchi
https://twitter.com/FredericBianchi Frédéric Bianchi Journaliste BFM Éco