« Pour un étudiant, cela peut tout changer de passer du temps avec un professionnel »

Youssef  Badr
Youssef Badr

Entretien avec Youssef Badr, premier vice-président adjoint du tribunal judiciaire de Bobigny

Le 13 février 2023, la cour d’appel de Versailles a signé avec l’association La Courte Échelle une convention visant à accueillir des étudiants en droit en stage au sein de la juridiction et à les accompagner dans leurs cursus grâce à des parrainages. Créée il y a à peine un an par Youssef Badr, premier vice-président adjoint au tribunal judiciaire de Bobigny et ancien porte-parole du ministère de la Justice, cette association qui œuvre pour l’égalité des chances est aujourd’hui submergée par les demandes. Retour sur une initiative partie pour durer.

Gazette du Palais :

Comment est née La Courte Échelle ?

Youssef Badr :

L’association existe depuis le 8 mars 2022. L’idée de départ était de lutter contre le décrochage universitaire et d’offrir aux étudiants en droit en difficultés une structure pouvant leur venir en aide. Très vite, elle s’est diversifiée afin de leur permettre de bénéficier d’un mentorat ou d’un parrainage, soit pour la recherche d’un stage, soit pour avoir du soutien dans leurs études, soit pour les aider à préparer un concours (CRFPA, ENM…). Certains étudiants, de milieu modeste, n’ont jamais eu de contact avec un magistrat par exemple, et cela peut tout changer pour eux de passer du temps avec un professionnel, pour être conseillés ou rassurés. La faculté reste un endroit où vous êtes fondamentalement seul avec vos questions, vos interrogations, vos doutes… Pouvoir discuter avec quelqu’un leur ouvre aussi d’autres perspectives : les étudiants pensent souvent qu’avec le droit, on ne peut être qu’avocat, notaire ou magistrat, alors qu’il existe beaucoup d’autres métiers où ils peuvent s’épanouir. Je fais également des interventions à l’université. Au départ, je pensais seulement créer une petite structure avec l’IUT de Villetaneuse, et j’ai été submergé par les demandes en l’espace d’un an.

GPL :

Combien d’étudiants avez-vous accompagnés depuis un an ?

Y. Badr :

J’ai traité près de 2 800 demandes, d’étudiants venant de Paris, de province et d’Outre-mer, informés par le site internet (Accueil – La Courte Echelle (asso-la-courte-echelle.fr) et les réseaux sociaux. C’est incroyable de voir comment, grâce à ces outils, vous pouvez mettre des gens en relation en seulement quelques clics. Je dois beaucoup à mon ami Ronan Le Goff qui dirige l’agence La Netscouade, qui m’a a aidé à monter le site dans le cadre d’un projet pro bono.

GPL :

Combien y a-t-il de parrains et marraines ?

Y. Badr :

L’association compte plus de 300 parrains et marraines dans toute la France. Cela va de commissaires de justice aux avocats, notaires, juristes d’entreprise, professeurs ou étudiants, mais ce sont majoritairement des magistrats et des élèves-avocats. Grâce au soutien du directeur de l’École de formation des barreaux (EFB), Gilles Accomando, que je remercie, près de 40 élèves-avocats ont aidé l’an dernier et cette année des étudiants qui voulaient passer le CRFPA et qui n’avaient pas les moyens de se payer une prépa privée.

GPL :

Aujourd’hui, vous êtes seul à gérer l’association…

Y. Badr :

Oui. C’est une difficulté mais je ne veux pas que ce soit un algorithme qui s’en charge. Quand un étudiant m’écrit, je veux savoir d’où il vient, quelles sont ses difficultés, qui il a déjà rencontré, s’il a déjà fait des stages… Cela me permet de lui apporter une réponse adéquate. Parfois, certains ont juste des idées reçues qu’on peut déconstruire facilement, d’autres cherchent un stage qu’on finit par trouver, d’autres encore ont besoin de rentrer en contact avec un professionnel. Ils cherchent des gens autour de chez eux, j’essaie de voir qui je connais. Cela demande parfois un peu de temps avant de pouvoir apporter une réponse.

GPL :

La cour d’appel de Versailles vient de signer une convention avec la Courte Échelle pour prendre des stagiaires et parrainer des étudiants. Est-ce la première convention de ce type pour l’association ?

Y. Badr :

Oui, c’est la toute première convention que l’association signe avec une juridiction. Je suis heureux que cela se fasse avec Versailles car le premier président Jean-François Beynel et le procureur général Marc Cimamonti m’ont soutenu dès le départ. Ils ont très rapidement accepté de prendre des stagiaires dans le but de promouvoir l’égalité des chances. La première stagiaire qui a été envoyée à la cour d’appel de Versailles était en difficulté car elle ne trouvait pas de stage et cela a été gagnant-gagnant : pour elle qui a beaucoup appris et qui est désormais marrainée par Michèle Leuret, secrétaire générale de Jean-François Beynel, dans son projet de présenter l’ENM d’ici quelques années ; et pour les magistrats et greffiers qui étaient ravis de travailler avec elle. À la suite de cette expérience réussie, j’ai envoyé d’autres CV d’étudiants et nous avons décidé de formaliser notre lien afin de fluidifier les demandes de stages. Cela concerne des stagiaires de L3 à M2 capables d’accomplir déjà un certain nombre de tâches, mais qui sont des étudiants dont le milieu familial n’a rien à avoir avec le droit et ayant besoin d’être encouragés dans la poursuite de leurs études.

GPL :

Allez-vous signer d’autres conventions du même type ?

Y. Badr :

Je commence à recevoir des demandes de cours d’appel et de juridictions qui veulent suivre. J’ai un rendez-vous en mars avec le procureur général près la cour d’appel de Paris, Rémy Heitz. Parallèlement, à mon initiative, le président du tribunal judiciaire de Bobigny, Peimane Ghaleh-Marzban a signé une convention avec l’IUT de Villetaneuse pour accueillir chaque année trois étudiants de 2e année pour un stage de 8 semaines, d’avril à mai. Ces étudiants ont généralement beaucoup de difficultés pour trouver des stages. Cela va leur permettre de découvrir concrètement ce qu’est le métier de magistrat. Ils ne vont pas le voir dans une série, et je suis sûr que ça va leur donner envie de poursuivre et peut-être pour certains de passer le concours de l’ENM.

GPL :

Quelles tâches sont assignées à des étudiants de niveau L2 ou L3 en juridiction ?

Y. Badr :

Cela dépend. Certains assistent à des audiences ou préparent des dossiers. À Bobigny, pour les trois étudiants qui vont venir, j’ai demandé qu’on identifie trois tâches que les magistrats n’ont pas le temps de faire, comme récupérer les arrêts de la cour d’appel qui concernent nos jugements – on ne les a jamais – et le remettre à chaque collègue concerné ou encore faire des recherches ou aider à la rédaction de certains jugements. Il y a de quoi faire.

GPL :

À quels obstacles les étudiants qui vous contactent se heurtent-ils pour trouver un stage ?

Y. Badr :

Ce sont des étudiants qui sont en difficulté car ils n’obtiennent pas de réponse, ils n’ont pas les bons contacts. Le fait de passer par le filtre de l’association donne une sorte de validation à leur candidature et cela facilite les choses. Cela me permet aussi de leur dire que, parfois, c’est normal qu’ils n’aient pas de réponse car leur lettre de motivation et leur CV ne sont pas acceptables dans la forme. Si personne ne leur dit, ils ne peuvent pas le savoir.

GPL :

Les stages sont-ils obligatoires dans leur cursus ?

Y. Badr :

En IUT, oui. Mais ce n’est pas le cas à l’université. Or s’ils s’orientent vers l’ENM, ne pas avoir fait de stage en juridiction est discriminant au moment du grand oral. La difficulté est la même pour passer la sélection du M2 qui est aujourd’hui très dure. Plus vous avez fait de stages, plus votre dossier est solide.

GPL :

Quels vont être les prochains développements de l’association ?

Y. Badr :

Le ministère de la Justice nous aide en nous donnant une subvention ce qui va nous permettre d’acheter des livres de droit (les codes notamment) pour la rentrée prochaine pour les étudiants qui ne le peuvent pas. Je pense que même si les livres sont accessibles en bibliothèque, c’est toujours mieux pour un étudiant d’avoir son propre code ou ouvrage, qu’il peut surligner et annoter. Mais cela coûte très cher d’équiper une promotion entière. Je vais également chercher un parrain pour donner de la visibilité à l’association dans l’unique but de nous permettre de lever des fonds car on fait plus de choses avec plus de moyens.

Propos recueillis par Laurence Garnerie