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Décryptage

Formation en tourisme : universités et écoles se mettent en ordre de bataille pour clarifier l'offre

Pour gagner en attractivité, une poignée d'universités et d'écoles de tourisme de renom ont décidé de se regrouper. L'offre pédagogique doit répondre aux nouveaux défis du marché. Une stratégie que ces établissements espèrent convaincante pour les jeunes et les professionnels de la filière.

Le consortium d'universités propose au total plus de 100 formations en licence, licence pro et master à plus de 6.000 étudiants se destinant aux métiers du tourisme.
Le consortium d'universités propose au total plus de 100 formations en licence, licence pro et master à plus de 6.000 étudiants se destinant aux métiers du tourisme. (Getty Images/FilippoBacci)

Par Corinne Dillenseger

Publié le 17 mars 2023 à 14:00Mis à jour le 21 mars 2023 à 11:41

Chaque année, des milliers de jeunes se forment au tourisme, un secteur qui génère près de 2 millions d'emplois directs et indirects dans le voyage, le patrimoine, la culture, l'événementiel, les loisirs, le transport, l'hôtellerie, la restauration… « Il existe plus de 2.000 formations où le meilleur côtoie parfois le pire, dans le public comme dans le privé », observe Jean-Luc Michaud. Selon le cofondateur de l'Institut français du tourisme (IFT), « cette pléthore de formations aux intitulés parfois peu représentatifs, brouille la lisibilité et l'attractivité de l'offre et des débouchés professionnels ».

Conscients du problème, six établissements universitaires ont décidé d'agir. Dotée par le ministère de l'Enseignement supérieur d'une enveloppe financière de 8 millions d'euros sur deux ans, cette poignée d'acteurs a officialisé, vendredi 17 mars, la création du REUT, le Réseau des écoles universitaires de tourisme, à l'occasion du Salon mondial du tourisme à Paris.

Le consortium regroupe les universités d'Angers (avec l'Esthua), de Paris 1 Panthéon-Sorbonne (Irest), de Gustave-Eiffel (Ifis), de Côte d'Azur (Itca), de Toulouse Jean-Jaurès (Isthia) et de Savoie Mont Blanc (USMB). Leur point commun ? « Elles disposent d'une offre de formation significative, voire historique, dans le tourisme, avec une importante capacité de recherche fondamentale », argumente Jean-René Morice, le directeur de l'Esthua à Angers, chargé de piloter le réseau.

800 places ouvertes dans les universités

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Le réseau REUT propose au total plus de 100 formations en licence, licence pro et master à plus de 6.000 étudiants se destinant aux métiers du tourisme. A elle seule, la fac de l'Esthua accueille 3.500 jeunes (dont 25 % sont d'origine internationale), affiche 50 diplômes en tourisme (du DEUST au doctorat), porte un campus des métiers et des qualifications, et un pôle de recherche soutenu par le CNRS, avec 185 chercheurs dans 26 disciplines.

« Nous sommes la plus grosse unité de formations supérieures et de recherche en tourisme en Europe », s'enorgueillit son directeur, qui espère convaincre d'autres universités d'intégrer le réseau. Son objectif est clair : « Travailler ensemble pour mieux mutualiser nos compétences et nos pratiques pédagogiques, et clarifier l'offre de formation dans l'enseignement supérieur, où il n'existe pas d'école d'excellence de tourisme suffisamment reconnue. »

Pour les étudiants, ce réseau offrira de nouvelles perspectives en phase avec les attentes des professionnels. « Notre ambition est d'ouvrir 400 places en formation initiale et 400 places en apprentissage pour les rentrées 2023 et 2024, en licence et master », indique Sylvie Durand, directrice des services à l'Esthua. Dans les nouvelles licences se trouvent par exemple Entreprendre dans le tourisme littoral à l'Esthua et Ecotourisme mer/montagne à l'Itca.

Du côté des bac +5, on trouve par exemple le diplôme Tourism, Hospitality and Food Studies à l'Isthia, E-distribution et activités numériques à l'Irest, Data analyst en tourisme à l'Ifis. « L'Esthua mettra en place des modules sur la transition écologique, la RSE et le développement durable dès la prochaine rentrée avec des enseignants-chercheurs ou des profils issus du monde professionnel privé. On réfléchit aussi au lancement d'une 'fresque du tourisme' », souligne Sylvie Durand.

Chaque place ouverte sera financée par le ministère de l'Enseignement supérieur à hauteur de 5.000 euros. Et si le coût total d'une scolarité est d'environ 10.000 euros, la responsable des services de l'Esthua rappelle que les droits d'inscription sont de 170 euros en licence et de 250 euros en master, « là où le secteur privé réclame entre 8.000 et 10.000 euros ».

Des écoles de tourisme au top

Ce rapprochement universitaire a son équivalent dans les grandes écoles. Quatre d'entre elles ont fondé, il y a un an, l'association Top French Hospitality and Tourism Schools (TFHTS). Elle englobe l'Ecole supérieure de tourisme d'Y Schools, Excelia Tourism School, l'école hôtelière et de la gastronomie Ferrandi Paris et l'Institut Paul Bocuse.

« Nous sommes tous des établissements consulaires ou associatifs reconnus par l'Etat, et les seuls en France à délivrer un Bachelor tourisme ou hôtelier visé par le ministère de l'Enseignement supérieur », indique d'emblée Pascal Capellari. Le directeur d'Excelia Tourism School tient à faire cette distinction, car il existe d'autres catégories d'écoles délivrant des certificats différents. A titre d'exemple, l'Ecole internationale Tunon de Paris propose depuis la rentrée le Bachelor Hospitality Management International, un titre professionnalisant enregistré au répertoire national des certifications professionnelles (RNCP) par France Compétences, mais non visé par l'Etat. Il ne donne généralement pas le droit à une équivalence universitaire.

Cet « écosystème », présidé par Richard Ginioux, directeur général de Ferrandi Paris, revendique plus de 160 enseignants, 30 enseignants-chercheurs, 3.000 étudiants et se targue d'un taux d'employabilité de 91 % six mois après la sortie d'études. La synergie des quatre écoles fondatrices promet aux étudiants « une qualité académique et professionnelle d'excellence », plus de diplômes en alternance et de bourses, des podcasts thématiques, des rencontres sociales, culturelles et sportives. A l'image du challenge interécoles Get Up 4 Tourism, qui s'est tenu en janvier dernier, où 120 étudiants ont brainstormé et pitché de nouvelles idées sur le tourisme durable.

Pour attirer les jeunes, les écoles tiennent à montrer que cette thématique du tourisme durable infuse depuis bien longtemps les salles de cours. Excelia Tourism School est par exemple la seule école en France dont les formations sont certifiées depuis 2008 par l'Organisation mondiale du tourisme des Nations unies. « Nos étudiants ont tous l'ADN de la RSE et du développement durable en eux, affirme Pascal Capellari. On leur apprend par exemple à devenir des managers responsables et humanistes à travers des missions opérationnelles obligatoires portant sur la protection de l'environnement ou le respect des populations locales. »

Faire aussi bien que la Suisse

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TFHTS a l'ambition de promouvoir ses programmes à l'étranger en participant à des salons. « Les écoles d'hôtellerie suisses sont très réputées, alors que la France est la première destination touristique de la planète. Notre offre de formations est tout aussi bonne que celle de la Suisse et cinq fois moins chère. A nous de le faire savoir ! » s'exclame Pascal Capellari, qui accueille au sein de son école 30 % d'étudiants internationaux.

Conforter la position de la France, c'est aussi la mission de la Conférence des formations d'excellence au tourisme (CFET), créée par un comité interministériel à la demande du ministère des Affaires étrangères. Depuis 2018, elle a labellisé une trentaine de formations touristiques du bac +2 au bac +5, issues d'une vingtaine d'écoles et d'universités françaises, dont celles qui viennent de se regrouper récemment dans les deux réseaux précités.

Jean-Luc Michaud, l'un des fondateurs de la CFET, ne voit pas d'un bon oeil ces empilements successifs. « Multiplier les initiatives concurrentes [comme la création de ce consortium] dans notre pays ne consolidera pas l'image et le potentiel pédagogique de la France, en particulier à l'international », estime-t-il. « Au contraire, soutient Jean-René Morice, vice-président du CFET et directeur de l'Esthua d'Angers. Ces réseaux ne s'adressent pas aux mêmes publics, des jeunes qui préfèrent faire leur formation à l'université et d'autres dans des écoles privées. Nous sommes complémentaires, nous nous respectons tous et il y a de la place pour tout le monde. »

Reste à savoir si les jeunes seront sensibles à toutes ces différenciations. D'autant plus qu'ils ne manquent pas de sollicitations. La campagne de recrutement nationale, lancée par Olivia Grégoire, ministre déléguée chargée des Petites et Moyennes Entreprises, du Commerce, de l'Artisanat et du Tourisme, s'étale par vagues jusqu'à fin 2023, avec le récent lancement du site d'information Monemploitourisme.fr (et ses 55.000 offres d'emploi), mais aussi la Semaine des métiers du tourisme, prévue partout en France, du 3 au 9 avril prochain.

Corinne Dillenseger

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