« Je me réveille sculpture, je vis sculpture, je pense sculpture. » Pour Manon Damiens, le métal, qu’elle travaille en frêles rubans de laiton ou en délicates plaquettes, c’est bien plus qu’une passion. « C’est un appel intérieur », confie l’artisane, installée depuis dix ans dans la commune rurale de Cuxac, dans l’Aude. Il faut en effet avoir la foi pour jongler en solo entre plusieurs casquettes : artisane d’art, mais aussi cheffe d’entreprise et mère élevant seule ses deux enfants. Elle a tout surmonté : la crue de l’Aude, qui, en 2018, a noyé son atelier, comme la pandémie, qui a fragilisé son activité. Cette optimiste forcenée ne s’autorise qu’un regret, que les métiers d’art soient moins valorisés que les filières intellectuelles. « On mise désormais tout sur l’intelligence artificielle en oubliant celle de la main. »
Des griefs que partage toute la filière, réunie jusqu’au dimanche 2 avril pour les Journées européennes des métiers d’art (JEMA). Ce secteur qui représente 281 métiers, plus de soixante mille entreprises pour un chiffre d’affaires cumulé de 19 milliards d’euros en 2019, est désormais suspendu au plan de soutien aux métiers d’art porté par la ministre de la culture Rima Abdul Malak, qui en a fait un enjeu important de son mandat, en concertation avec les ministères de l’économie et de l’éducation. L’annonce, décalée d’un mois, est prévue début mai.
Autant dire que les attentes sont pressantes. Eclaté en une multitude de microentreprises fragiles majoritairement unipersonnelles, ce secteur cabossé par le Covid-19 subit aujourd’hui de plein fouet l’explosion des coûts des matériaux et de l’énergie, qui pénalisent notamment verriers et céramistes. « L’énergie représente désormais 30 % du coût d’un objet, contre 7 % avant la crise, détaille Stéphane Galerneau, président du syndicat Ateliers d’art de France, qui réunit six mille professionnels. Comme on ne peut augmenter d’autant les prix, on doit rogner sur nos marges. »
Un déficit de notoriété
Les défis ne sont cependant pas que conjoncturels. Reconnue à l’étranger comme une valeur sûre, cette filière hétérogène souffre d’un déficit de notoriété en France : les données économiques sont parcellaires, les annuaires incomplets ou obsolètes, au point que la Rue de Valois a missionné l’Institut national des métiers d’art pour les réactualiser. Comment, dès lors, créer un cap commun dans un secteur archipélisé ? Comment améliorer l’ancrage local des artisans d’art tout en les propulsant à l’international ? Comment transmettre des gestes ancestraux et susciter des vocations à l’ère des « stories » sur Instagram ? Le chantier est immense.
Il vous reste 60.63% de cet article à lire. La suite est réservée aux abonnés.