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Dans les pas d’une auxiliaire de vie : « On est là pour aider les gens à avoir une vie meilleure »

Reportage

Alors que le vieillissement de la population accroît les besoins en professionnels de l’aide à domicile, le secteur peine à recruter. En 2022, seul un poste sur deux a été pourvu. À Trilport (Seine-et-Marne), Valérie, auxiliaire de vie, consacre ses journées à aider.

  • Margo Magny,

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Lecture en 8 min.

Dans les pas d’une auxiliaire de vie : « On est là pour aider les gens à avoir une vie meilleure »

« Valérie, c’est comme ma fille. » Pour Mme Cohen, âgée de 86 ans, l’entente avec ses aides à domicile, c’est une histoire de « feeling ». « Il y en a eu certaines avec qui ça ne passait pas, c’est comme ça », avoue l’octogénaire, allongée sur un lit médicalisé au centre du salon de sa maison familiale.

Depuis plus de quatre ans, des auxiliaires de vie de l’association de Trilport (Seine-et-Marne) se rendent quotidiennement chez elle. Après le décès de son mari, son niveau de dépendance s’est accentué. Elle a perdu la vue et préfère rester allongée par peur de tomber. « Avant, il apportait du soleil dans la maison », se souvient-elle le regard triste. Avec ses blagues et sa spontanéité, à chacun de ses passages, Valérie amène à nouveau un peu de soleil dans cette maison trop vide.

Dans les pas d’une auxiliaire de vie : « On est là pour aider les gens à avoir une vie meilleure »

À bientôt 50 ans, cette auxiliaire de vie est passée par les ambulances et le milieu hospitalier. En janvier dernier, elle entamait sa sixième année au sein de l’équipe des services de soin à domicile de Trilport. Parmi les missions des auxiliaires, on compte l’aide à la toilette et à l’habillage, la préparation des repas, l’entretien du logement ou encore l’aide à la prise de rendez-vous. Aujourd’hui, Valérie ne changerait de métier pour rien au monde. « On est là pour aider les gens à avoir une vie meilleure, et on s’y attache. Au début, on nous appelle “Madame”, après on connaît notre prénom. » Pour s’adresser à Valérie, Mme Cohen a même préféré lui rappeler son affection et la surnomme : « Ma chérie ».

« En Ehpad, on serait soumises au protocole de l’établissement »

10 h 30. Son masque chirurgical sur le nez, l’ancienne ambulancière prépare de quoi faire la toilette de sa patiente. Dans son sac s’entremêlent savons, chaussures médicales et, surtout, deux blouses différentes. « Parmi nos missions il y a l’aide humaine mais aussi l’entretien du logement, alors j’ai une blouse dédiée aux soins de la personne et une autre pour le reste des interventions », explique Valérie. Une évidence pour l’ancienne salariée du milieu hospitalier, qui ne conçoit pas de « laver les personnes en portant les vêtements qui servent à préparer les repas ».

« Au début, on nous appelle “Madame”, après on connaît notre prénom. »

Si pendant la toilette Valérie et Mme Cohen ont leurs habitudes, l’auxiliaire continue de la prévenir à chacun de ses gestes. « C’est son corps, même si elle ne peut plus se laver seule, il lui appartient. » Entre la cheminée et le lit médicalisé, les blagues fusent et Valérie parle fort, pour être certaine que sa patiente – dont la surdité s’accentue – l’entende. « Souvent, on chante même des chansons paillardes », sourit l’octogénaire. Une liberté « possible seulement parce qu’on se trouve au domicile et pas dans un Ehpad, où on serait soumis au protocole d’un établissement », assure l’auxiliaire de vie.

« Prendre le temps avec les personnes »

Au-delà des rires et des chants improvisés, Valérie apporte à Mme Cohen un soutien tous azimuts. Elle sait comment placer les coussins pour qu’elle soit bien installée. Elle sait aussi comment ne pas lui tirer les cheveux quand elle les démêle et a déjà prévenu ses enfants quand elle doutait de l’état de santé de leur mère. Il est 11 heures quand la toilette touche à sa fin. Une odeur de savon embaume la pièce et, sur le visage de Mme Cohen, on peut lire l’apaisement. Valérie retire sa blouse. « À tout à l’heure, c’est moi qui repasse ce soir », prévient-elle avant de quitter le spacieux salon.

L’association des services à domicile intervient à Trilport et aux alentours. Une heure plus tôt, à 9 heures, la mère de famille commençait sa première visite de la journée chez Sébastien, dans la commune de Changis-sur-Marne. À peine la porte de la maison pavillonnaire passée, Valérie a enchaîné des gestes méthodiques pour préparer le petit déjeuner. « J’ai une heure à passer ici, et je préfère aller plus vite sur ces tâches-là afin de prendre le temps avec les personnes que j’accompagne », explique-t-elle. Il y a six ans, Sébastien, trentenaire, a appris qu’il était atteint de la maladie de Charcot. Cette pathologie entraîne une perte progressive des neurones moteurs du cerveau et de la moelle, et conduit à la paralysie progressive des muscles. Depuis que Valérie se rend presque quotidiennement chez lui, elle a appris quelle quantité de sucre mettre dans son café, à quelle longueur raser sa barbe ou encore l’intensité avec laquelle lui brosser les dents.

Dans les pas d’une auxiliaire de vie : « On est là pour aider les gens à avoir une vie meilleure »

« Ça va aujourd’hui, Monsieur Moreau ? », lance-t-elle en entrant dans la pièce, réaménagée à la suite de son diagnostic. Aujourd’hui tétraplégique, Sébastien a été contraint de laisser entrer dans son intimité différentes auxiliaires de vies, qui ont une à une vu son état de santé se dégrader. « Au début, je marchais encore, donc elles venaient un quart d’heure par jour, puis elles sont venues trente minutes, et aujourd’hui elles restent une heure », raconte ce père de deux enfants.

« Heureusement qu’elles sont là »

Chaque matin, la première mission de Valérie consiste à « transférer » Sébastien de son lit à son fauteuil électrique. Un acte qui nécessite des gestes très précis et une formation pour apprendre à utiliser un « lève-personne ». « Si une nouvelle auxiliaire de vie suit Sébastien, je reste avec elle le temps du transfert jusqu’à ce qu’elle soit complètement à l’aise », indique l’auxiliaire expérimentée. Le transfert commence et Valérie positionne les sangles qui soulèveront le malade. « Bleu ou vert aujourd’hui ? », questionne-t-elle avec légèreté. Ces couleurs correspondent au niveau d’assise souhaité par Sébastien. Pendant toute la durée de l’acte, la communication reste essentielle et les questions s’enchaînent : « Votre cou est assez maintenu ? », s’assure Valérie.

Une fois Sébastien installé dans son fauteuil, ils se dirigent vers le lavabo. « La toilette complète, c’est son épouse qui s’en occupe, tout ce qui est chevelure aussi », plaisante-t-elle face au crâne chauve de Sébastien. Avec le temps, les gestes de Valérie sont devenus le prolongement de ceux qu’il n’est plus en mesure d’effectuer. « Heureusement que les auxiliaires sont là », reconnaît l’ancien comptable.

Chaque semaine, environ quatre personnes différentes viennent l’accompagner dans ses gestes du quotidien. « Je me mets à sa place, c’est plus agréable de voir régulièrement des aides qu’il connaît », estime Valérie. Avec elle, les gestes sont fluides, et Sébastien a moins besoin de se répéter. « Leur passage permet aussi à ma femme de continuer à travailler la journée et de ne pas s’occuper de moi 24 heures sur 24 », ajoute-t-il. Une fois effectué un dernier transfert du fauteuil électrique vers le canapé, Valérie et Sébastien s’échangent quelques plaisanteries avant de se quitter.

« Accepter notre aide, et la demander »

11 h 30. Au volant de sa voiture, l’auxiliaire de vie se dirige vers la commune de Trilport pour sa dernière visite de la matinée avant une courte pause déjeuner. Devant le pavillon, son sourire s’estompe. « Manoline a un début d’Alzheimer. Pour elle, c’est de plus en plus compliqué », confie Valérie. En ouvrant la porte, la retraitée l’accueille avec le sourire. « Comment vous sentez-vous aujourd’hui Manoline ? », s’informe Valérie. « En ce moment, je ne sors pas beaucoup », répond timidement la nonagénaire.

« Je pars de chez ces personnes en ayant l’impression d’avoir rendu leur journée un peu plus simple. »

Sur la porte qui mène à la cuisine où Valérie s’apprête à préparer un repas, des pense-bêtes sont inscrits avec des couleurs voyantes. On peut y lire : « Penser à boire de l’eau. Participer aux activités proposées. Accepter notre aide et la demander. » Ces tableaux ont été installés à l’initiative des auxiliaires qui accompagnent Manoline, pour s’assurer de sa sécurité en leur absence. Valérie lui rend visite depuis quatre ans. Au début, elle venait surtout pour jouer à des jeux de société, qui aident à retarder l’évolution de sa maladie d’Alzheimer. Maintenant, elle l’accompagne aussi dans ses tâches du quotidien.

Midi approche. L’auxiliaire à domicile s’affaire à préparer le repas en ouvrant les placards, comme si la maison n’avait aucun secret pour elle. Pendant que son plat cuit, elle se dirige vers la chambre. « C’est important d’aérer, car les personnes âgées n’y pensent pas toujours », explique-t-elle, en ouvrant la fenêtre. « Le lit, je le fais comme si je le faisais pour moi. Je n’aimerais pas qu’il y ait des bosses sur ma couette, alors je fais attention. Ce soir, elle ne se souviendra sûrement pas que je me suis occupée de sa chambre mais elle sera heureuse de se coucher dans un lit fait », sourit Valérie, les draps à la main. Son travail, la mère de famille ne le fait pas pour la reconnaissance, mais pour le sentiment de satisfaction qu’elle ressent quand elle « part de chez ces personnes en ayant l’impression d’avoir rendu leur journée un peu plus simple ».

« Ils ont pu vieillir chez eux »

L’ancienne ambulancière multiplie les allers-retours entre le salon et la chambre avant de prévenir Manoline que son déjeuner est prêt. « Ça me fait du bien que des personnes agréables viennent me voir tous les jours. Mes parents ont aussi été accompagnés par les aides de Trilport. Grâce à elles ils ont pu vieillir chez eux », sourit la bénéficiaire.

Dans les pas d’une auxiliaire de vie : « On est là pour aider les gens à avoir une vie meilleure »

12 h 40. La prochaine visite de Valérie est prévue dans trente minutes. Si la cinquantenaire est fière de son métier, elle regrette qu’il ne soit pas assez valorisé. « On passe de bons moments, mais certaines journées sont difficiles. Une personne est déjà décédée dans mes bras », se remémore-t-elle en retirant sa blouse. L’année dernière, deux de ses collègues ont découvert le décès de personnes qu’elles accompagnaient. Pour se protéger lors des moments difficiles, Valérie a su mettre la « juste distance » avec les bénéficiaires et a fait du sport sa « soupape ».

Alors que l’auxiliaire de vie enfile son manteau, le regard de Manoline, consciente de ses troubles de la mémoire, s’égare. « Je ne vais pas aller en maison de retraite, hein ? », s’inquiète-t-elle subitement. « Non, rassurez-vous, on va continuer à venir vous voir tous les jours pour que vous restiez chez vous », sourit Valérie avant de regagner sa voiture.

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