Talkie-walkie accroché à son bleu de travail, Aristide Echardour monte la garde. Agé de 22 ans, barbe broussailleuse et regard clair, il filtre, lundi 20 mars, les entrées de l’Ecole nationale supérieure d’architecture (ENSA) de Normandie, à Darnétal, près de Rouen. Une nouvelle assemblée générale des étudiants a décidé le blocage de l’établissement. Plus aucun cours n’est dispensé ; seuls les étudiants en deuxième année de master sont autorisés, à quelques semaines de la fin de leur cursus, à terminer leurs travaux.
Devant la porte de l’établissement, une ancienne manufacture de bretelles, quelques palettes et trois panneaux de contreplaqué forment un mince rempart. Sur l’un d’eux, l’acronyme des ENSA est détourné : « école nationale sans argent ». En février, l’école a dû repousser d’une semaine son ouverture après les vacances d’hiver, faute de moyens pour assurer ses cours, entraînant l’incrédulité puis la colère de ses étudiants. Depuis, la contestation a gagné les vingt écoles publiques d’architecture de l’Hexagone, où les assemblées générales, les blocages et les banalisations des cours se multiplient. Une partie des étudiants étaient également présents dans les cortèges des manifestations contre la réforme des retraites, jeudi 23 mars.
Ce n’est pas la première protestation des ENSA. Le réseau des écoles, qui compte 1 736 enseignants, 723 agents administratifs et environ 20 000 étudiants, avait interpellé, dans une lettre de décembre 2019, signée par les directeurs et les présidents d’établissement, Franck Riester, alors à la tête de la culture et ministre de tutelle, sur le manque de moyens à leur disposition pour assurer leurs missions, depuis la réforme de leur statut de 2018. Plusieurs rapports ont alors été commandés par la Rue de Valois, l’un à l’Inspection générale des affaires culturelles (IGAC), rendu à la fin de 2020, puis un autre, toujours réalisé par l’IGAC, mais rédigé avec l’Inspection générale de l’éducation, du sport et de la recherche (Igesr), publié en décembre 2021.
Les deux inspections ont émis 29 recommandations visant notamment à modifier et à réorganiser les enseignements, à créer de nouveaux diplômes, à développer l’alternance et le maillage territorial des ENSA… Une gageure pour plusieurs écoles, qui ne parviennent déjà pas à maintenir l’existant. De plus, l’épidémie de Covid-19 a vidé les écoles de leurs étudiants, repoussant à plus tard la bonne application de la réforme de 2018.
Manque de personnel administratif
Cette réforme était pourtant très attendue par les ENSA. Elle porte sur deux points essentiels : première nouveauté, la gouvernance est collégialisée et se rapproche du modèle universitaire, avec des instances de représentation des enseignants-chercheurs, d’élus étudiants et de personnels administratifs. Un président du conseil d’administration extérieur à l’établissement est élu, seul le directeur est nommé par le ministère de tutelle. Le second point est le changement de statut des enseignants des écoles d’architecture. Précédemment contractuels, ils sont censés devenir enseignants-chercheurs sur le modèle des universitaires, donc des fonctionnaires, rémunérés par l’Etat, qui bénéficient de décharges horaires pour faire de la recherche.
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