Enseignement supérieur et territoires : regards croisés

L’Association des villes universitaires de France (Avuf) et Intercommunalités de France organisaient à Rouen les 5 et 6 avril 2023 un séminaire abordant le sujet de leurs coopérations à l’aune de la transition écologique. Entre "territorialisation des universités" et "universitarisation des territoires", beaucoup font le constat d’un nouveau paradigme.

Universités, écoles, territoires urbains et villes moyennes face aux enjeux de la transition écologique, "voilà un sujet ambitieux", a résumé en introduction la ministre de l’Enseignement supérieur et de la Recherche Sylvie Retailleau. Dans un message vidéo enregistré, elle a d’abord souligné à quel point la compréhension d’un monde en mutation "met les acteurs de l’ESR et les collectivités en grande responsabilité", tant il est vrai que "la transition écologique concerne tout le monde". Et en premier lieu les agents publics eux-mêmes qui, à la suite des directeurs d’administrations centrales et des cabinets ministériels, seront formés sur ces sujets d’ici 2024 ; soit près de 25.000 cadres de la fonction publique. Sylvie Retailleau s’est dit également convaincue de la nécessité pour les établissements de l’ESR "de se rapprocher des territoires pour proposer des offres de formations adaptées".

"Il arrive chaque année de nouveaux bacheliers pour lesquels notre pays n’était pas prêt"

Un discours repris au bond par Guillaume Gellé, président de l’université de Reims et président de France Universités, qui, évoquant "la territorialisation de l’université", déclare : "Je ne connais pas une université qui n’ait pas le souci de son impact sur le territoire et qui ne travaille pas avec les collectivités." Des établissements qui cherchent tout à la fois à assurer leur visibilité internationale et leur ancrage territorial. Présidente du Grand Reims, de l’Anru et de l’Avuf, Catherine Vautrain explique que ce qui a changé ces dernières années, c’est le nombre d’étudiants : "il arrive chaque année de nouveaux bacheliers pour lesquels notre pays n’était pas prêt", explique l’ancienne députée. Un phénomène accentué par Parcoursup, selon elle, qui pose avec acuité la question des offres en post-Bac pour les élèves du territoire. "Sont-elles en lien avec les besoins économiques du territoire ? Car la qualité du bassin d’emploi, c’est un vrai sujet en termes d’attractivité."

L'impact des établissements d’enseignement supérieur sur leur territoire

Sur ce terrain-là, estime Delphine Manceau, directrice générale de Neoma business school et vice-présidente de la Conférence des grandes écoles (CGE), les écoles "non publiques" maillent particulièrement bien le territoire "avec une forte proximité avec les entreprises et le tissu économique". Présente à Rouen, Paris et Reims, Neoma, a réalisé des études d’impact qui révèlent qu’elle accueille en Champagne 18% d’étudiants originaires de la région Grand Est et 13% venant de Normandie sur son campus rouennais. "Et nous attirons des jeunes de toute la France, ce qui est un facteur d’attractivité pour les territoires" où l’école est implantée. "L’impact" de Neoma, sa directrice générale l’estime à 211 millions d'euros en Normandie avec "1.000 emplois créés et des étudiants qui créent des start-up que l’on cherche à maintenir sur le territoire grâce à notre accélérateur". Au-delà du cas de l’école qu’elle dirige, Delphine Manceau estime que les établissements d’enseignement supérieur ont un impact sur les entreprises existantes et futures, "et la nouveauté, c’est que les collectivités territoriales en ont plus conscience qu’il y a dix ans !"

"Les universités ont changé, mais le regard des collectivités aussi"

Un constat que valide David Margueritte, président de l’agglomération du Cotentin, vice-président de la région Normandie et d’Intercommunalités de France : "vis-à-vis des universités, les territoires ont longtemps été dans un rapport de force défensif". Désormais, les élus locaux ne doivent plus penser le développement de l’offre d’enseignement supérieur comme un moyen "d’animer" les villes, quelles que soient les filières. "Il faut cultiver nos spécificités", explique l’élu normand. En adoptant en 2019 un schéma local d’enseignement supérieur, la collectivité qu’il dirige et qui regroupe 129 communes autour de Cherbourg, a fait le vœux "de passer de 100 à 3.000 étudiants en 2026". Elle a pour cela attiré de nouvelles formations, une école d’ingénieurs qui ouvrira ses portes d’ici deux ans et un pole d’excellence des métiers de la soudure piloté par les grands industriels locaux, dont Naval group. "Ce schéma, revendique David Margueritte, c’est le point de départ d’une nouvelle politique." "Les universités ont changé, insiste Guillaume Gellé, mais le regard des collectivités aussi et tout est réuni pour que l’on réussisse ensemble."

  • Quelles coopérations entre les intercommunalités urbaines et le monde de l’ESR ?

L’Avuf et France urbaine ont confié au bureau d’études Latitudes le soin de réaliser une enquête destinée à répertorier "les champs de coopération envisageables entre intercommunalités urbaines et le monde de l’enseignement supérieur et de la recherche pour faire face au dérèglement climatique". Il en ressort que les "chantiers phares" portés par les collectivités en matière de transition écologique tournent essentiellement autour des problématiques de l’énergie et des mobilités. Au total, 22 collectivités sur 28 interrogées ont des projets en cours dans les domaines de la gestion des déchets, l’énergie, la préservation de la biodiversité, la gestion de l’eau ou encore l’alimentation. Quid de leurs collaborations avec les établissements de l’ESR sur leur territoire ? Elles concernent pour l’ensemble des projets de recherche partenariale avec des laboratoires, des projets tutorés ou encore la mobilisation d’expertise scientifique ou de conseil pour l’aide à la décision. En matière de transition écologique, ces collaborations portent sur des champs variés : énergies, santé et accès aux soins, mobilités décarbonées et innovation sociale, en premier lieu. Elles peuvent prendre la forme d’appels à projets, de partenariats ou plus simplement de financement de projets. Enfin, la grande majorité des collectivités interrogées ont identifié des besoins de formation des agents en matière de transition et un peu plus de la moitié d’entre elles sont partie prenante d’une alliance locale Agir ensemble pour des campus durables en villes durables.