La montre française tente d'organiser sa reconquête industrielle
La montre est l'un des « cinq objets du quotidien » que le gouvernement veut relocaliser. Dans le Doubs, où se concentre la filière, une étude est en cours pour identifier ses forces et faiblesses et pointer des axes de développement. En parallèle, des PME commencent à assembler des mouvements.
Par Monique Clémens
Que manque-t-il à l'horlogerie française pour fabriquer de A à Z des montres compétitives et novatrices ? C'est à cette question que doit répondre l'étude commandée par l' Agence nationale de la cohésion des territoires à la préfecture du Doubs, département qui concentre 60 % de l'emploi horloger français.
En France, 2 % seulement des montres vendues sont fabriquées sur le territoire national. Avec le vélo , le jouet , le textile en lin et la chaussure, la montre est l'un des « cinq objets du quotidien » dont le gouvernement veut pousser la relocalisation. Confiée au cabinet EY, l'étude devrait être rendue mi-mai.
La filière emploie 30.000 personnes en Franche-Comté, dont 90 % travaillent dans des entreprises horlogères suisses, en passant la frontière ou dans les services après-vente de Breitling , Audemars Piguet ou Swatch Group, à Besançon. Côté français, les quelque 3.300 emplois restants sont répartis entre les nombreux sous-traitants horlogers - qui exportent 80 % de leurs composants, essentiellement en Suisse - et la poignée de PME horlogères implantées entre Besançon et Morteau, à la frontière suisse : SMB/Lip, Humbert-Droz, Pequignet, Herbelin , Saint-Honoré… En ce début 2023, horlogers et sous-traitants ont tous le sourire : le chiffre d'affaires français est passé de 341 millions d'euros en 2021 à 381 millions en 2022, celui des montres seules de 70 à 78 millions. Une hausse de 11 % aux allures de « remontada ».
« Vraie appétence »
« Il ne faut pas se tromper de combat, l a montre est, et restera, suisse », tempère François Vinot, chef du bureau d'appui territorial à la préfecture du Doubs, qui pilote l'étude : « Cependant, il y a une place pour une montre française, et un enjeu déjà identifié dans la gamme des 2.000 à 5.000 euros. »
Les deux syndicats professionnels applaudissent l'initiative. « Après cinquante ans de déclin, ça y est, on commence à remonter, même si le chiffre d'affaires français est faible comparé aux 20 milliards suisses », rappelle Jean-Jacques Weber, le président de la Fédération de l'horlogerie, qui regroupe 38 adhérents, 84 marques et 2.100 salariés : « On pourrait facilement doubler la production sans gêner les Suisses, les Japonais et les Chinois. On a un historique fabuleux, des savoir-faire remarquables, mais on a perdu notre industrie. »
Dans ce secteur-là aussi, la crise du Covid a accéléré les mutations. « Elle a montré une vraie appétence des jeunes générations pour le made in France , l'empreinte carbone et la réparabilité », se félicite Guillaume Butty, vice-président de France Horlogerie. Ce syndicat de fabricants de composants et de gros volumes, qui compte 92 adhérents pour 3.000 salariés, a identifié plus de 100 millions d'euros de velléités d'investissement chez ses adhérents, notamment dans la montre connectée.
Dans un plan global de réindustrialisation commandé par Bercy et estimé à 121 millions d'euros, France Horlogerie recommande aussi la création d'un espace collectif d'innovation sur le plateau de Morteau, dont le dossier (4 millions d'euros) vient d'être déposé. Le syndicat professionnel estime à 240 millions d'euros et 1.500 emplois les retombées des investissements préconisés.
Doubler les cadences
Pequignet, Humbert-Droz, Yema, France Ebauches… La petite poignée d'horlogers du Doubs poursuit parallèlement sa quête d'un mouvement mécanique hexagonal, même si le 100 % français n'est plus à l'ordre du jour - l'industrialisation du spiral, une des pièces maîtresses du mouvement, nécessiterait des investissements incompatibles avec la demande française. L'objectif, désormais, est de proposer des mouvements assemblés en France pour leurs propres montres et celles de marques soucieuses de fabrication hexagonale. C'est ainsi que le « Calibre Initial » de Pequignet , conçu et assemblé à Morteau, qui affiche 72 % de composants français, équipe des montres Apose, Ralf Tech et un modèle anniversaire de Pierre Lannier. « Et nous sommes en discussion avec une demi-douzaine d'autres marques », confie Nicolas Desmoulins, responsable des projets spéciaux de cette société de haute horlogerie qui emploie 25 personnes.
De son côté, Humbert-Droz , à Besançon, a assemblé 3.000 mouvements du motoriste suisse La Joux Perret en 2022 et s'apprête à doubler les cadences en 2023 pour March LA.B, son plus gros client, mais aussi Charlie Paris et bientôt Lip. « On redéveloppe une industrie à Besançon. Nos mouvements représentent déjà 25 % de notre chiffre d'affaires [980.000 euros en 2022, NDLR] et ce sera 30 à 35 % en 2023 », estime Julien Humbert Droz, jeune dirigeant de cette société familiale de 14 salariés. Et pendant ce temps-là, à Maîche, France Ebauches, racheté par le groupe espagnol Festina et implanté en Suisse, s'apprête à commercialiser deux calibres made in France. Alors, certes, la montre mécanique française a toujours un petit accent suisse, mais de moins en moins.
Monique Clemens (Correspondante à Besançon)