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Violences sexuelles dans l'enseignement supérieur : «Il ne suffit pas de punir, il faut faire de la prévention»

Une enquête publiée par l’Observatoire étudiant des violences sexistes et sexuelles fait état d’un sexisme encore omniprésent. Sur les 10 000 questionnaires remplis (76 % de femmes) près de 10% déclarent avoir été victimes d’une agression sexuelle.
par Julie Richard
publié le 12 octobre 2020 à 21h05

Après neuf mois d’enquête et 10 000 étudiants interrogés (dont 76% de femmes), l’Observatoire étudiant des violences sexistes et sexuelles a rendu son rapport : près d’une étudiante sur deux déclare avoir subi des violences verbales ou des contacts physiques non désirés dans le cadre scolaire. Plus inquiétant encore, une sur dix déclare avoir été victime d’agression sexuelle et une sur vingt victime de viol.

Les jeunes étudiantes particulièrement vulnérables

Les causes soulevées sont diverses : sentiment d'impunité, effet de groupe, manque d'éducation… En outre, l'alcool apparaît bien souvent comme un élément clé du contexte dans lequel ont lieu les violences. Si les violences verbales ont lieu pendant les cours, la plupart des autres agressions surviennent durant les soirées ou autres réunions d'étudiants. L'état d'ébriété «n'explique aucunement ces violences», peut-on lire dans le rapport, mais apparaît davantage comme un élément de contexte et une circonstance aggravante au terme de l'article L-222 du code pénal.

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Ce n'est pas la première fois qu'une enquête fait état d'une situation de violence particulièrement importante auprès des jeunes femmes. En 2017 et en 2020, l'association En avant toute(s) a publié deux études démontrant une surreprésentation des jeunes femmes dans les violences sexistes et sexuelles. «Nous avons constaté que les jeunes femmes sont particulièrement touchées par les violences sexistes et sexuelles et le domaine de l'enseignement supérieur ne déroge pas à la règle, explique Ynaée Benaben, cofondatrice de l'association. Elles sont souvent à une étape de leur vie où elles sont plus exposées aux violences sexuelles, mais c'est aussi une époque où elles sont à la merci d'enjeux de pouvoirs de toutes sortes, ce qui les rend particulièrement vulnérables.»

Poids de la tradition et culture d’école

Le constat s'avère particulièrement criant pour les étudiants issus de filières plus privilégiées. En effet, l'étude de l'Observatoire démontre une surreprésentation d'étudiants en école de commerce ou d'ingénieurs post-bac, de classes préparatoires ou encore à l'université par rapport à d'autres formations. Une forte proportion de ces étudiants peine à distinguer harcèlement sexuel et agression sexuelle et plus généralement à reconnaître les situations qui sont légalement condamnables. «On a souvent le cliché selon lequel les violences seraient plus fortes dans les milieux populaires», explique Ynaée Benaben. Or la réalité est bien différente.

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Ces milieux favoriseraient une forte pression de groupe qui serait à l'origine des violences faites aux femmes. En outre, le poids de la tradition et de la culture de l'école encouragerait l'expression de certaines formes de violences sexuelles et sexistes qui sont difficilement attaquables par les étudiants fraîchement débarqués de classe préparatoires. «Ce sont des personnes qui ont dû pouvoir et cela facilite de sentiment d'impunité», ajoute Marine Dupriez, ancienne étudiante en école de commerce et militante contre les violences sexuelles dans l'enseignement supérieur. Une nuance toutefois : l'absence de réponse dans les autres lieux de formation pourrait être le résultat d'un discours moins libéré et d'une sensibilisation moindre que d'une meilleure prise en compte de l'égalité femmes-hommes.

Timides tentatives de sensibilisation

Depuis quelques années déjà, les initiatives pour intervenir dans les établissements de l'enseignement supérieur se multiplient. En 2017, l'association En avant toute(s) a mis en place un chat ouvert aux étudiantes et étudiants désireux de faire part de leur expérience ou de celle d'un proche. En 2019, Marine Dupriez fonde Safe campus, pour sensibiliser les établissements de l'enseignement supérieur. «En cumulé, près de 40 % des étudiants ne savent pas ou ne peuvent pas faire appel à une structure d'aide, se désole Marine Dupriez. Il ne suffit pas de punir, il faut faire de la prévention. Il faut sensibiliser les établissements sur la notion de consentement, accompagner les établissements et mettre un cadre», ajoute-t-elle. Mais les initiatives ont un succès tout relatif. Peu d'établissements contactés par l'Observatoire ont accepté de relayer les questionnaires parmi leurs étudiants. Et pour l'heure, Safe campus n'accompagne que treize établissements parmi lesquels une grande majorité d'écoles privées. Manque de moyens ou manque de personnel, la fac se montre souvent frileuse à s'emparer de ces questions.

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