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Pacte salarial dans l’éducation : «On voudrait juste être mieux rémunérés pour les heures que l’on fait»

Alors que Pap Ndiaye doit détailler ce jeudi les modalités du «pacte enseignant», de nombreux profs interrogés par «Libé» affirment leur hostilité à ce dispositif, qui procède selon eux d’une «logique comptable».
par Honorine Soto
publié le 20 avril 2023 à 6h46

«Travailler plus pour gagner plus ? On voudrait juste être mieux rémunérés pour les heures que l’on fait déjà», réagit Martine (1), professeure et directrice des écoles en Bourgogne-Franche-Comté, alors que Pap Ndiaye doit préciser, ce jeudi, les contours du nouveau pacte enseignant. Il prévoit au minimum 24 heures supplémentaires dans l’année sur la base du volontariat, en effectuant de nouvelles missions – pour les professeurs du premier degré, il s’agira d’effectuer, en priorité, une heure de soutien par semaine en maths et français pour les élèves de sixième, tandis que dans le second degré, les professeurs s’engageront notamment à faire des remplacements de courte durée.

«Dans mon équipe, personne ne signera ce pacte. Mes collègues refusent de faire encore des heures supplémentaires», poursuit Martine, faisant référence aux tâches invisibles des profs : préparation des cours, corrections des copies, réunions ou encore rencontres avec les parents, dont certaines, mais pas toutes, sont comptabilisées dans leur salaire.

Dans l’hypothèse où certains professeurs des écoles souhaiteraient accepter le pacte, est-ce matériellement possible ? Face aux élèves six heures par jour, les professeurs des écoles ne pourraient se libérer que le mercredi, où la majorité d’entre eux n’ont pas cours. «Le gouvernement oublie que le mercredi est le jour dédié aux formations, à la préparation de nos cours, ou celui où nous nous occupons de nos enfants. C’est impensable de nous rajouter quelque chose», ajoute Martine.

«Quel intérêt aurais-je à signer ce pacte ?»

Lors des prochaines vacances scolaires, Valérie, professeure des écoles depuis quinze ans, compte assurer quatre matinées – soit quatorze heures supplémentaires au total – de remise à niveau pour des élèves en difficulté entre le CP et le CM2. Si elle a choisi de le faire sur la base du volontariat, elle n’envisage aucunement de signer le pacte, qui l’obligerait à effectuer au moins 24 heures par an de soutien aux élèves de sixième. «Le public du primaire n’a rien à voir avec celui du secondaire. Je n’ai pas l’habitude de gérer un adolescent», témoigne-t-elle.

«On a bien compris pourquoi ce pacte nous propose de faire des remplacements. On a surtout bien compris qu’ils n’arrivaient pas à recruter des enseignants», constate Nathalie, professeur agrégée de Sciences économiques et sociales (SES) dans un lycée de Senlis (Oise). «Je fais déjà des heures supplémentaires sur la base du volontariat. Quel intérêt aurais-je à signer ce pacte ?» s’interroge Jérémy, professeur de maths en langue allemande au collège depuis trois ans dans le Grand-Est. Le mois dernier, il a perçu 2 471 € net en comptant sa prime de professeur principal, et quatre heures et demi supplémentaires. Il refuse de signer le pacte, et songe également à se reconvertir professionnellement : «La vocation et la passion ne suffisent plus.»

«Je ne veux pas brasser du vent»

Pour les professeurs agrégés, s’engager dans le pacte pourrait leur faire perdre de l’argent. «La rémunération proposée par le pacte pour les agrégés serait plus faible que si nous faisions des heures supplémentaires», explique Pierre, professeur agrégé de SES dans un lycée du Nord depuis dix ans. Avec sa prime de professeur principal et sans heure supplémentaire, il touche 2 800 € net par mois.

Contexte de réforme des retraites oblige, les enseignants questionnent également la prise en compte de ces heures supplémentaires dans le montant de leur retraite. «Ce pacte serait sous forme de primes, non comptabilisées dans le calcul des retraites», note Pierre, qui y voit une énième «logique comptable», et «cette idée que le gouvernement pense que nous ne travaillons pas assez».

Sur les témoignages recueillis, seul Bahri, professeur d’histoire-géographie au collège depuis deux ans dans la métropole lilloise, pourrait adhérer au pacte. «Tout dépend de ce qui est proposé, nuance-t-il. Si les missions ont du sens, je pourrai peut-être l’envisager. Mais s’il s’agit de tâches que l’on fait déjà, non. Je ne veux pas brasser du vent.»

(1) Le prénom a été changé.

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