L'envers des classes préparatoires littéraires à Bordeaux : "Je vomis tous les matins"

De nombreux élèves ont du mal à s'adapter aux exigences des prépas littéraires à Bordeaux, véritables "hachoirs à élèves" dont le rythme et les méthodes impactent leur santé.

Le lycée Michel de Montaigne accueille des classes préparatoires littéraires à Bordeaux.
Le lycée Michel de Montaigne accueille des classes préparatoires littéraires à Bordeaux. (©Flickr / creative commons)
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Burn out, troubles alimentaires, dépression… Les conséquences des prépas littéraire sur la santé des élèves sont nombreuses. « J’ai découvert une violence dans l’enseignement à laquelle je ne m’attendais pas », confie Thomas*, ancien élève en classes préparatoires littéraires au lycée Bordeaux Montaigne.

Dès les premières semaines en hypokhâgne, il remarque « que quelque chose ne va pas » en voyant de nombreux camarades quitter le cursus, découragés par les méthodes de certains professeurs.

Lui choisira de rester jusqu’au milieu de sa deuxième année où il partira « à bout », aussi bien moralement que physiquement. Comme lui, face au rythme effréné et aux méthodes strictes d’enseignement, certains renoncent aux opportunités que les classes préparatoires littéraires leur promettent. D’autres choisissent de tenir le rythme, parfois au détriment de leur santé

Un rythme intenable

À son arrivée en prépa littéraire à Montaigne, Thomas est immédiatement surpris par la « pression énorme » qu’on lui met, « immédiatement et pour tout, tout le temps ». Ce sentiment ne le quittera pas de tout son cursus.

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La violence, c'est la mise sous pression constante et l'exigence absolue pour des gens qui sortent du lycée. Un prof nous disait que son fonctionnement, c'était "la politique du zéro défaut".  Le rythme et la quantité de travail à fournir pour espérer atteindre cette exigence-là sont intenables. Soit on dort et on n'est pas au niveau parce qu'on ne bosse pas assez, soit on se tue au travail et il y a moyen que ça craque au bout d'un moment.

Thomasancien élève en prépa littéraire à Montaigne

Marion*, ancienne élève de prépa littéraire au lycée Camille Jullian de Bordeaux, confirme : « Au niveau du rythme, c’était un truc de fou furieux. » Mais elle ajoute : « À mon sens, ce rythme imposé était nécessaire, je ne le changerais pas. »

Le proviseur du lycée Michel de Montaigne, Laurent Verreckt, précise qu’il y a « un rythme certes soutenu, dû aux exigences élevées liées aux attentes des concours ». « Le travail en CPGE est exigeant oui, mais pas intenable ; la majorité des étudiants survivent à la prépa ! », termine-t-il. 

« Il y a eu beaucoup d’humiliation »

Pour sa première dissertation, Thomas avait travaillé dur. « J’y avais passé des heures. Le prof a balancé ma copie sur mon bureau, en s’adressant bien fort à toute la classe : « Voilà, Thomas a eu zéro car il y avait des fautes d’orthographe, je ne veux même pas corriger sa copie, c’est un torchon. Il va falloir se ressaisir. » 

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Selon l’ancien élève de prépa, c’est un exemple typique. Car il est formel : « Il y a eu beaucoup d’humiliations, bien sûr, je le dis sans trembler. » Cela, Marion aussi en a fait les frais : « Je peux témoigner sur la dureté de certains profs. L’un d’entre eux exigeait énormément de moi jusqu’à me faire pleurer en khôlle (interrogation orale, ndlr). Mais il y a tellement d’autres profs qui faisaient remonter la balance. »

Elle ajoute que pour elle, « il y a cette figure du prof qui ne nous voit que comme des signes de sa propre réussite, qui a l’impression que si ses élèves ne réussissent pas, c’est lui qui est nul ».

Le proviseur du lycée Montaigne, lui, est surpris : « Je suis très étonné qu’on parle d’humiliation. Peut-être cet élève a-t-il vécu une situation particulière mais les professeurs ici on un vrai souci d’accompagnement, au plus près des élèves. » 

Des conséquences sur la santé des élèves

Chaque matin, Thomas allait en cours avec la boule au ventre. Un sentiment qui n’est pas étranger à Marion : « Tout élève de prépa vit des difficultés émotionnelles et psychologiques importantes. C’est ce qui nous a manqué à tous, cette question de la santé mentale. Il y a un grand vide à ce niveau-là. »

Thomas se souvient comme si c’était hier d’un certain jeudi en khâgne avant les concours blancs, où il a compris que plusieurs personnes « étaient en train de craquer ».

Un de mes camarades m'a dit, comme si c'était normal, "tu sais moi, je vomis tous les matins avant les cours". Ce jour-là, on a aussi reçu le SMS d'un autre ami qui nous annonçait qu'il ne reviendrait pas, parce qu'il était en dépression. Et une de mes potes, première de la classe, toujours à fond, venait de faire un burn-out et de quitter la prépa pendant deux semaines. Je ne m'y attendais pas du tout. Je me suis dit, même eux ils craquent ? C'est quoi ce hachoir à élèves ?

Thomasancien élève en classes préparatoires littéraires à Montaigne

« À un moment les soucis ont commencé à devenir physiques »

Le déclic pour Thomas vient pendant sa deuxième année. « Je n’en pouvais plus de cette pression constante, des profs… J’étais très souvent absent. À un moment, les soucis ont commencé à devenir physiques. » Après un malaise lié au stress, il décide de quitter le cursus.

Le proviseur de Montaigne assure qu’en cas d’absentéisme, les enseignants veillent : « Quand on sent qu’un élève ne va pas bien et qu’on voit qu’il est beaucoup absent, on le rencontre et on en discute avec lui, on l’interroge sur sa volonté à poursuivre… »

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Thomas, lui, dit ne pas avoir reçu cet accompagnement. Il va même plus loin : « À un moment il y a eu énormément d’absents et au lieu de comprendre pourquoi, la direction nous a menacés de ne pas nous donner nos crédits ECTS. » Quant à Camille Jullian, le proviseur du lycée Didier Guibault assure que l’équipe enseignante est « soudée et à l’écoute ». Le lycée offre désormais aux élèves des séances de sophrologie.

« L’élite de la nation »

Réputées pour leur exigence, les classes préparatoires existent en France depuis les années 1890. Beaucoup dénoncent désormais le « fonctionnement archaïque » de ce milieu « fermé ».  Thomas raconte que dès le premier jour, le discours de la direction l’a surpris : « Ils nous ont dit qu’on était la future élite de la nation, qu’on était l’avenir des hautes sphères de l’État. » Il ajoute qu’on leur « fait espérer, dès le début, qu'[ils] aur[ont] accès à l’ENS ». Or, sur les deux classes de khâgne de la promotion de Thomas, seule une personne a pu accéder à l’École nationale supérieure.

« La majorité des étudiants n’intègre pas l’ENS, reprend le proviseur de Montaigne, c’est extrêmement exigeant. Les chiffres sont publics. Une grande majorité intègre d’autres écoles : de commerce, de journalisme, de traduction… »

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L’ancien élève de Montaigne souhaite prévenir les lycéens qui s’intéressent à la prépa littéraire : « Le plus dur, ce n’est pas la quantité de travail. Non le pire, c’est le reste : l’ambiance, la pression, l’humiliation des professeurs… J’aimerais leur dire, soyez sûrs d’être assez solides pour assumer ce cursus qui selon moi ne ressemble à aucun autre. »

*Les prénoms ont été changés pour des raisons d’anonymat

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