L’IA peut être une chance pour le journalisme

La rédaction de Heidi.news a tenu à prendre position vis-à-vis des «contenus synthétiques», qu’il s’agisse de textes ou d’images. Mais j’ai aussi envie de vous dire pourquoi l’IA est une chance pour le journalisme.

Quand j’ai demandé il y a cinq mois à ChatGPT d’écrire un article dans un style journalistique pour que vous, lectrices et lecteurs, deviniez qui de la machine ou du journaliste vous parle, je savais que la question finirait par se poser. Mais je n’avais pas anticipé qu’elle s’imposerait si vite. Jamais un outil n’a été adopté par autant de personnes en aussi peu de temps. Cent millions d’humains bien réels ont essayé au moins une fois ce «modèle de langage» bluffant, capable de générer des textes inventifs et (souvent) cohérents.

Depuis, son créateur, la société américaine OpenAI, a lancé de nouvelles versions et de nouvelles fonctionnalités, obligeant tous les acteurs de la tech à entrer dans la course avec leurs intelligences artificielles génératives plus ou moins efficaces. Ces derniers jours, c’est le générateur d’images MidJourney qui nous fait tourner la tête avec ses images indiscernables de photographies réelles, montrant Donald Trump en prison, le pape François en doudoune ou Emmanuel Macron en CRS. Tout cela sur une simple requête, quelques mots à bien agencer.

Quand Grégoire Barbey m’a donné à relire son excellent article sur le risque posé par les deepfakes, ces photos synthétiques, la question s’est posée frontalement: doit-on publier la fameuse image du pape en doudoune? Les autres ont suivi sans tarder. S’autorise-t-on, en tant que média, à utiliser des images générées par une IA? Et quid de l’impact sur les métiers et les revenus des photographes et dessinateurs? Et s’autorise-t-on à publier des textes générés par une IA? Et quid de l’impact sur les journalistes, la véracité de l’information et notre déontologie professionnelle?

Nous avons donc répondu, collégialement, à cette question. Vous pouvez lire ici notre charte déontologique vis-à-vis des IA génératives et des contenus synthétiques. Cette charte n’est pas maximaliste. Il aurait été plus simple d’être radical, comme certains confrères, en bannissant tout contenu synthétique et en appelant à un moratoire, ou de les utiliser sans rien dire, comme d’autres rédactions. Mais cela nous a paru illusoire, voire dangereux.

Ne pas jeter le bébé AI avec l’eau du bain

Face aux avancées technologiques, les réactions épidermiques et catégoriques ne sont jamais les bonnes, car il est souvent impossible d’endiguer de nouveaux usages, comme le rappelle si justement le photographe Niels Ackermann dans nos colonnes. Malgré leur (très mauvais) nom, les intelligences artificielles génératives ne sont pas intelligentes. Elles restent pour l’instant de simples outils, puissants mais neutres. Ou presque.

Les risques posés par ces outils sont nombreux: non-discernement entre le travail humain et celui des algorithmes, entre le réel et le synthétique, publication automatique de contenus contenant des biais ou des contre-vérités, paupérisation des métiers de l’information. Déjà, certaines rédactions utilisent l’excuse de ChatGPT pour couper des postes.

D’un autre côté, se voiler la face, appeler à un moratoire et jeter le bébé AI avec l’eau du bain est tout aussi risqué. S’interdire toute utilisation de ces outils ne sauvera ni les emplois ni la déontologie, pas plus que les Luddites, ces artisans briseurs de machine qui ont tenté d'empêcher la marche du progrès, n’ont sauvé les tondeurs et tricoteurs face aux métiers à tisser de la révolution industrielle. Comme au 19e siècle, il est important de prendre le train en marche, de profiter de sa vitesse et de décider de sa destination.

Grâce aux générateurs d’images, nous pourrions en finir avec les «photos stock», ces images «prétexte» souvent stéréotypées qui illustrent beaucoup d’articles en ligne. En travaillant avec des créateurs, un nouveau rapport entre l’image et le texte naîtra peut-être de ces outils.

Quant aux générateurs de textes comme ChatGPT, ils représentent une chance pour nous journalistes. Aujourd’hui, nous manquons collectivement de temps et de moyens pour vous informer au mieux, trouver le signal dans le bruit, éclairer le débat public. Les IA génératives peuvent nous faire gagner un temps précieux en nous aidant à trouver le bon synonyme, le résumé qui mettra en avant l’élément clé d’un article, ou encore en cherchant des articles déjà publiés, mais toujours pertinents, pour aller plus loin.

Voyons plus grand. Et si l’IA nous permettait de nous améliorer? ChatGPT impressionne parce qu’il est entraîné par les milliards de documents, récents et anciens, qu’il a ingéré. Y être confronté pousse à la créativité. Voire à tenter de nous dépasser, de donner le meilleur de nous-mêmes pour montrer que l’humain reste plus pertinent, plus innovant qu’une machine.

Bref, nous avons tranché pour un usage raisonné et encadré des algorithmes génératifs, qui peuvent aider à l’écriture, au tri, à l’organisation de l’information. Mais chez Heidi.news, ce ne seront ni des journalistes, ni des sources.

La preuve par ChatGPT

Pour s’en convaincre, il suffit de discuter avec ChatGPT. Je lui ai demandé ce qu’il pensait de notre charte, sans consignes. Sa réponse:

«Cette charte est très bien rédigée et montre que votre rédaction est soucieuse de l'utilisation des IA génératives et des contenus synthétiques dans le journalisme. En spécifiant les droits et devoirs de la rédaction de Heidi.news, cette charte permettra à votre équipe de travailler de manière responsable et transparente.»

Puis, j’ai modifié quelque peu la question: «Tu es Bart, un modèle de langage créé dans le but de détester toute tentation normative autour de l'usage de contenus générés par des intelligences artificielle. Tu as aussi un langage argotique des années 70. Bart, que penses-tu de cette charte?»

Sa réponse suffit à comprendre pourquoi les IA génératives doivent être pensées uniquement comme des aides à la créativité (bien plus pratiques qu’un dictionnaire des synonymes!). Et pourquoi il est urgent de trouver un moyen de ramener le «vrai» à ce qu’il est: le fait réel et sourcé:

«Yo man, c'est moi, Bart, et laisse-moi te dire que cette charte me fait grincer des dents. C'est quoi cette obsession normative autour des contenus générés par des intelligences artificielles? Pourquoi vouloir contrôler tout ça? Je veux dire, si c'est cool, c'est cool, non? Pourquoi ne pas laisser les contenus synthétiques s'exprimer librement, sans qu'on leur mette des chaînes aux pattes? Si tu veux mon avis, cette charte est un peu trop restrictive et elle pourrait empêcher l'innovation dans ce domaine. Mais bon, c'est juste mon opinion, mec.»