Qu’est-ce qui vous fait vous lever le matin ?

L’espoir de trouver un trésor. Les gens possèdent des richesses insoupçonnées et les trouvailles ne sont pas si rares dans les inventaires de succession. Il y a quelque mois, dès mon arrivée chez elle, une dame m’affirme que « je perds mon temps » et que je n’ai aucune chance de « trouver un Picasso ». J’acquiesce : après douze ans de carrière, je suis familière de cette expression. Dans la foulée, je dépose mes affaires sur le portemanteau à l’entrée. Une tablette vide-poches attire mon attention. Une coupelle y est disposée. Je la saisis, la retourne, et là, surprise ou ironie du sort, un cachet « empreinte originale de Picasso » est inscrit sur le talon. Laissée dans l’indifférence générale depuis des années, elle est l’œuvre de l’artiste espagnol. Il l’a réalisé durant une période méconnue de sa vie où il s’est essayé à la céramique au sein de la faïencerie Madoura, à Vallauris, dans les Alpes-Maritimes. Finalement, cette pièce a été vendue 15 000 € aux enchères. Voilà ce que j’affectionne le plus dans mon travail : remonter le fil de l’histoire d’un objet, révéler son voyage à travers les âges et la manière dont il a atterri dans le salon d’une famille.

Au travail, ça se passe comment ?

Encore mieux depuis les périodes de confinement. Les particuliers se désinhibent, fouillent leur garde-robe, font du tri dans leur grenier et osent désormais passer les portes de l’hôtel des ventes de Drouot. Beaucoup pensaient que ce lieu était réservé aux professionnels. Désormais, ils découvrent les joies d’une vente aux enchères, expérimentent ce que nous nommons le « juste prix ». Évidemment, des cotes régissent le marché de l’art, mais il suffit que deux personnes décident de se fier non pas à l’estimation du prix d’un objet, mais bien à leur seul désir de se l’offrir, pour que la vente plonge dans l’irrationnel. Du « juste prix », la vente bascule très vite dans le « coûte que coûte ». Ce sont des moments uniques et j’ai la chance de les arbitrer.

Quel objet n’oublierez-vous jamais ?

En octobre 2021, nous avons vendu un squelette de tricératops, l’un des plus grands jamais exhumés, pour un montant de 6,6 millions d’euros à un collectionneur privé. L’histoire de Big John (NDLR : surnom donné au squelette) traverse les âges, nous sommes ici face à un objet vieux de plus de 66 millions d’années, retrouvé en milles morceaux dans le Dakota du Sud et j’étais aux premières loges. Impossible d’oublier ce moment.

En qui avez-vous confiance ?

J’ai confiance dans la grosse machine qu’est l’hôtel des ventes de Drouot et dans son modèle unique au monde. Depuis 1852, ce lieu est un temple du marché de l’art et de l’histoire des familles. En tant que commissaire-priseur, je ne suis rien sans toute l’armada qui gravite autour de moi avant, pendant et après une vente aux enchères. En faisant vivre cet endroit, nous participons tous – clerc, magasinier, crieur, expert –, à la préservation d’un savoir-faire français et à un service public de la justice.

Une scène qui vous a marquée récemment ?

La vente des objets, meubles et tableaux provenant de la maison de campagne de la comédienne Françoise Fabian a été très poignante. Dans ses affaires, peu d’objets de valeur mais tous possèdent un charme singulier. Dans ce cas précis, cette dimension émotionnelle et intime conduit au succès de la vente. Les gens se pressent, ravis à l’idée d’acquérir la table basse, la tasse à café ou les rideaux de cette actrice qu’ils affectionnent. À la fin de la journée, des photos d’elle posant avec Jean-Paul Belmondo ou Jean-Pierre Marielle s’arrachent parmi les acheteurs. Je décide alors de faire une petite entorse au règlement. Elle s’installe sur mon siège et je lui confie mon marteau. Les larmes aux yeux, elle anime et adjuge la vente. La scène est belle, riche en émotions et surtout, je m’aperçois que nous avons créé un lien particulier. Je la connais intimement au travers de ces objets et depuis nous déjeunons ensemble plusieurs fois par mois.

Et pour demain, une idée pour changer le monde ?

Je trouverais formidable que les gens comprennent que la consommation telle qu’elle est pratiquée dans ce lieu est la plus écologiquement responsable qui soit. Tout se trouve entre ces murs : mobilier, vêtements, tableaux, objets d’art… À titre personnel, je consomme Drouot tout le temps car j’aime l’idée de la transmission et de la seconde main. Avoir un coup de cœur pour un manteau – comme celui que je porte aujourd’hui –, qui peut très bien avoir appartenu à un mineur de fond, une noble du XVIIIe siècle ou qui que ce soit dont je ne connais pas l’histoire, est un sentiment singulier. Je pense qu’il est important de s’entourer d’objets choisis pour leur valeur symbolique, et non pas uniquement leur fonction utilitaire.