Il est un peu plus de 11 heures, la pause café se termine. Cécile Cudeville, 23 ans, engloutit un kanelbullar (« brioche à la cannelle ») et commence une tournée de contrôle des constantes de ses patients. Elle passe le seuil d’une première chambre et lance un « God morgon ! » (« bonjour ») matinal. L’élève infirmière de dernière année à l’institut de formation en soins infirmiers de la Croix-Rouge de Grenoble a dû se mettre au suédois dans le cadre de la poursuite de sa formation initiale. L’Iséroise a quitté les Alpes pour le centre hospitalier universitaire de Karolinska-Solna de Stockholm.
Ce même matin d’avril, à 2 800 kilomètres de la capitale suédoise, Baptiste Deshayes, diplômé d’un brevet professionnel arts du service en salle obtenu au centre de formation d’apprentis (CFA) de La Rochelle, profite du soleil avec vue sur la mer des Baléares. Dans un anglais parfait, le vingtenaire détaille à un couple de touristes américains la carte de tapas d’El pou, un restaurant chic de Sitges, près de Barcelone (Espagne). Plus à l’est sur la carte européenne, Charlie Davoust, 20 ans, boulanger-pâtissier diplômé du CFA de Laval, dispose, sur les étals de la pâtisserie Pank, à Florence (Italie), les pains et les gâteaux qu’il a préparés de bon matin. Loin de chez eux, ces trois Français poursuivent, ce printemps, l’apprentissage de leur métier en alternance, comme l’ont fait, en 2022, plus de 27 000 de leurs compatriotes apprenants Erasmus+ de la formation professionnelle. En 2018-2019, ils étaient 6 900 alternants français à avoir fait leurs valises grâce au programme européen de mobilité.
Si le nombre de candidats ne cesse de progresser, le goût d’ailleurs n’est pas une évidence pour nombre d’apprenants. « La majorité de nos apprentis sont issus d’un milieu modeste. Ils ont peu ou pas voyagé, ils sont cabossés par le système scolaire et ont perdu confiance en eux », décrit Claire Challande-Osuna, directrice du département international du centre de formation professionnelle de Lyon et Rhône.
« C’est juste magique »
Pour ces jeunes, quitter leurs proches et leurs repères est une prise de risque. Morganne Lemonnier, 20 ans, fille d’artisans originaire de Craon (Mayenne), est de ceux qui le prennent. La jeune femme, titulaire d’un brevet professionnel de coiffure, n’a jamais aimé l’école. « Rester assise sur une chaise à apprendre des choses pas essentielles pour mon développement personnel et professionnel, ce n’est pas pour moi », déclare-t-elle. En 2021, Morganne n’a alors jamais voyagé hors de France ; son plus lointain périple : une classe de neige dans les Alpes. Son CFA propose un voyage découverte Erasmus+ de deux semaines en entreprise à Flensbourg, en Allemagne, près de la frontière danoise. « Mon niveau d’allemand est alors de zéro et j’ai même du mal à comprendre l’anglais », reconnaît-elle. Mais elle décide de partir.
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