Régulièrement victimes de harcèlement et de misogynie, de nombreuses « gameuses » peinent à s’épanouir sereinement dans un univers pourtant plus si masculin : « seulement » 57 % d’hommes, selon une étude Ifop. « Voir une fille jouer suscite encore un certain nombre de clichés. On se dit : ”elle doit être très mauvaise, elle n’a rien à faire là” », résume ­Servane ­Fischer, joueuse depuis plus de vingt ans et responsable e-sport de l’association ­Women in Games, qui encourage la mixité dans le monde du jeu vidéo.

Poachimpa, gameuse et créatrice de contenus sur Internet, tient à protéger son identité : « Il y a ce préjugé consistant à penser que les femmes sont forcément moins fortes et que si elles sont là, c’est parce qu’elles sont aidées par des hommes. » Si une joueuse n’est pas au niveau, c’est qu’elle ne s’investit pas assez. « J’ai remarqué que lorsque l’on a un coup de moins bien, on s’en prend un peu plus dans la figure qu’un homme qui serait dans un mauvais jour », relève ­Servane ­Fischer.

Certains franchissent les limites de la loi, en insultant, humiliant et en menaçant les joueuses. Les réseaux sociaux ont accentué le phénomène. Ils ont d’un côté popularisé cette discipline, mais l’anonymat a exacerbé le sentiment d’impunité des harceleurs. « Mes messages et contenus éducatifs sont toujours beaucoup plus critiqués que s’ils venaient d’un homme », estime Poachimpa. « Il y a une minorité extrêmement bruyante qui, en relayant des messages misogynes, leur donne de la visibilité pour atteindre d’autres personnes. Ces personnes malveillantes cherchent leur heure de gloire. »

Ce sexisme pousse certaines joueuses à se réfugier dans des équipes ou des canaux de discussion 100 % féminins. Poachimpa, active au sein de ces ligues jusqu’à fin 2022, estime n’avoir jamais eu accès auparavant à un environnement qui la « poussait à être vraiment forte aux jeux vidéo ». « Ces ligues féminines le permettent, car elles offrent un cadre serein », souligne-t-elle.

De son côté, ­Servane ­Fischer trouve « très regrettable » d’avoir dû en arriver à ces ligues 100 % féminines. « On a raté le coche. C’était il y a vingt ans qu’il fallait inclure plus de femmes », se désole-t-elle. « À long terme, tout le monde aimerait revenir à de la mixité, mais pour inclure les femmes, on est obligés d’en passer par là », justifie Me ­Julie ­Guenand, avocate spécialisée en éthique des affaires.

Poachimpa n’a pas toujours le réflexe de porter plainte. « Une fois, une personne m’a harcelée et je l’ai retrouvée sur les réseaux sociaux. Je lui ai envoyé des articles de loi, lui montrant ce qu’il risquait et ça s’est arrêté », raconte-t-elle. Néanmoins, la joueuse a déjà reçu des menaces de mort ou contre sa famille et milite pour que l’anonymat, omniprésent sur la toile, puisse connaître certaines limites.

« Je ne vois pas pourquoi la justice n’aurait pas la capacité de briser l’anonymat de ces personnes extrêmement brutales. » « Quand on dépose une plainte, on sent encore un manque de sérieux sur ces questions de harcèlement, pointe Me Julie ­Guenand. Cela paraît moins grave que les violences physiques. »

Les joueuses pointent surtout un retard dans la prise de conscience du phénomène par les responsables politiques. « Au départ, les salles de jeux n’intéressaient pas plus que le club de lecture du coin, rappelle ­Servane ­Fischer. Quand l’argent est entré en jeu, les politiques s’y sont enfin intéressés. » « C’est bien de structurer l’e-sport pour que technologiquement parlant cela fonctionne, mais on oublie le côté social, alerte la gameuse. Construire sur des bases malsaines n’est jamais très conseillé. »