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Steven L. Kaplan, historien : « Les artisans boulangers ont moins besoin d’être célébrés que d’être estimés »

A l’occasion de la Fête du pain, l’universitaire esquisse, dans une tribune au « Monde », quelques pistes pour sortir de la crise que traverse la boulangerie. Il estime que ces professionnels méritent d’être perçus comme des acteurs tant culturels que commerciaux.

Publié le 13 mai 2023 à 06h00, modifié le 15 mai 2023 à 10h11 Temps de Lecture 7 min.

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C’est la Fête du pain [du 13 au 21 mai], l’apothéose annuelle des boulangers. J’ai participé, en 1996, à la création de cette célébration qui visait à mettre en relief la singularité de l’artisan boulanger et, avant tout, à lui remonter le moral. Il en avait bien besoin. Depuis des décennies, il subit des coups et il commet des erreurs, les deux parfois s’entremêlant sous le signe de son ambivalence à l’égard de la modernité. Depuis un siècle, l’artisan est ballotté entre des incitations contradictoires.

Au sortir de la Grande Guerre, face à la difficulté rencontrée par nombre de boulangers à bien maîtriser la panification sur levain et les contraintes sévères de cette méthode, les dirigeants professionnels inaugurent l’ère moderne : le travail « en direct » sur levure, moins pénible, plus rapide, mieux à même de produire de nouveaux pains – telle la baguette demandée chaude et crépitante plusieurs fois par jour. Mais le génie est sorti de la bouteille. La modernité, c’est un certain rythme, tant au fournil (où on est souvent payé à la pièce) qu’à l’usine : on va trop vite, on met trop de levure, on abrège radicalement le temps de la première fermentation, grand levier aromatique et gustatif, on ajoute trop de sel (pour compenser le manque de goût), on a recours à des additifs et correcteurs comme l’acide ascorbique pour permettre à la pâte de tolérer les ravages de la panification.

Malgré quelques alertes dans les années 1930, telle la convocation d’un Congrès national du bon pain en 1938, on ne mesure pas pleinement les implications calamiteuses de la baisse continue de la consommation du pain, au-delà de l’ajustement normal imposé par le « progrès » technologique et social. Des polémiques violentes contre le pain blanc, censé priver le consommateur de sa quintessence nutritionnelle, voire miner la « race française », fragilisent encore le boulanger.

La seconde guerre mondiale chambarde tout : pain grossier, plat, de couleur sombre, mêlé d’ersatz, souvent malodorant. Les Français veulent du blanc – ambition populaire historique, celui-ci figure la pureté et l’ascension sociale –, mais, face à une pénurie des grains, qui persiste presque une décennie, le pays crève de faim et l’Etat impose un pain à peine plus appétissant que celui de l’Occupation.

De nombreux consommateurs expriment des doutes concernant la qualité du pain : le drame de Pont-Saint-Esprit (Gard), en 1951, où du pain contaminé est vecteur de mort (de cinq à sept personnes) et de folie (une quarantaine de victimes), ne rassure pas le public. Vers la fin des années 1950, une nouvelle technique, le pétrissage intensifié, permet aux artisans de proposer un pain hyperblanc et volumineux. Les ventes augmentent, mais de manière éphémère ; des experts déclarent ce pain beau mais insipide, sans arôme ni goût.

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