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Parcoursup, un dispositif contesté

Temps de lecture  8 minutes

Par : Alban Mizzi - Doctorant en sociologie à l'université de Bordeaux

Supprimer le tirage au sort, mais maintenir une sélection explicite pour les formations de l'enseignement supérieur : telle est la promesse de Parcoursup, l'application web qui gère depuis 2018 l'affectation post-bac dans la majeure partie de l'enseignement supérieur français. Quelles en sont les limites et les perspectives envisageables ?

Depuis 2018, Parcoursup accueille et gère les vœux des futurs étudiants vers l'enseignement supérieur français. Les ratés successifs de la procédure Admission Post-Bac (APB) qui organisait depuis 2009 l'accès des bacheliers à l'enseignement supérieur ont conduit en 2018 à l'adoption de la loi relative à l'orientation et à la réussite des étudiants, avec l'objectif affiché de moderniser l'orientation post-bac en la rendant plus compréhensible et plus juste. Six ans plus tard, le dispositif en vigueur cristallise pourtant des critiques, aussi bien formulées par des responsables politiques et syndicaux que par une partie de ses utilisateurs.

 

Défaire Admission Post-Bac pour supprimer le tirage au sort

Du temps d'APB, l'enseignement supérieur français était "scindé" en deux parties : l'une sélective, l'autre pour laquelle le baccalauréat ou son équivalent suffisait pour que les élèves puissent s'y inscrire. Autrement dit, l'université demeurait le dernier bastion de l'enseignement supérieur "non-sélectif", car même les licences universitaires ayant des capacités d'accueil insuffisantes par rapport au nombre de candidats avaient néanmoins l'interdiction d'opérer une sélection établie sur critères scolaires par l'article 14 de la loi du 26 janvier 1984 sur l'enseignement supérieur devenu article L612-3 du code de l'éducation. Pour résoudre ce problème de tension, APB mit alors en place trois critères successifs :

  • l'académie d'origine. La procédure donnait la priorité aux étudiants issus de l'académie dans laquelle ils postulent ;
  • la position du vœu dans la liste hiérarchisée par le candidat faisait foi
  • le tirage au sort lorsqu'il restait encore et toujours des candidats classés ex-aequo. APB avait recours au tirage au sort via la circulaire du 24 avril 2017. Cette pratique particulièrement contestée a notamment fait l'objet d'une plainte auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL) en novembre 2016 (voir la décision de la CNIL). Dans la même veine, en 2017, l'institut Ipsos publie une enquête d'opinion des Français au sujet de la "sélection à l'université" : la majorité des répondants estimeraient le recours d'APB au tirage au sort injuste.

Une sélection explicite et généralisée

La sélection vise donc à supprimer le tirage au sort en mettant en avant le mérite individuel. Elle n'est pas nouvelle, puisque les classes préparatoires aux grandes écoles (CPGE), les instituts universitaires de technologie (IUT) ou encore les sections de techniciens supérieurs (STS), n'ont guère attendu la réforme de 2018 pour sélectionner leurs candidats sur dossier. L'université pouvait parfois sélectionner : Paris-Dauphine, par exemple, disposait de son propre système de recrutement hors APB. Les doubles licences sélectionnaient également. Avec Parcoursup, cette sélection est désormais explicite et comprise par les candidats, mais de surcroît généralisée à l'ensemble des formations de l'enseignement supérieur pour lesquelles les candidatures et l'inscription doivent se faire via la plateforme. Ce n'est pourtant pas la rhétorique ministérielle qui s'est toujours refusée à utiliser ce terme : sur le plateau de Public Sénat le 23 avril 2018 la ministre de l'enseignement supérieur, de la recherche et de l'innovation Frédérique Vidal assurait par exemple qu'"il n'y a pas de sélection".

Il faut dire que demeurent sur Parcoursup des formations "sélectives" et "non sélectives" se distinguant les unes des autres sur la base des réponses qu'elles notifient à leurs candidats. Les formations "sélectives" se réservent le droit d'accepter, de refuser ou de placer le candidat sur une liste d'attente, c'est-à-dire de l'accepter sous réserve d'un certain nombre de désistements. Les formations "non sélectives", peu ou prou les mêmes que sur APB, restent soumises à l'interdiction de refuser une candidature, ce qui les oblige à classer l'ensemble des candidatures. Le fait est que chaque formation doit accepter un certain nombre de candidats et en écarter les autres. On parle alors d'une sélection. Un terme repris par l'ancien Premier ministre Édouard Philippe aux Mardis de l'École supérieure des sciences économiques et commerciales (ESSEC), 18 mai 2021 : "On dit qu'on va pouvoir entrer dans les universités sur le fondement d'une orientation sélective. [...] C'est une bombe. Il y a des universités occupées, et on les désoccupe. Et ça passe !". Ce sera la première et l'unique fois qu'un membre du gouvernement reconnaîtra publiquement la mise en place d'une sélection à l'université depuis Alain Devaquet dont la réforme avortée de 1986 visait également à l'instaurer.

Revoir les règles du jeu ?

La question de la hiérarchisation des vœux ravive chaque année le débat.

Sur Parcoursup, les candidats procèdent à des choix sans les classer par ordre de préférence, ce qui constitue la première rupture nette avec APB. Cette disposition technique est à l'origine des listes d'attente dont l'existence même est particulièrement anxiogène pour les candidats. En effet, cette nouveauté incite les candidats à comparer régulièrement leur classement dans chaque formation. En résultent souvent des files d'attente qui évoluent peu et qui allongent considérablement la durée du processus, là où la procédure APB avisait l'ensemble des candidats de chaque proposition d'admission ou de refus à des dates prédéfinies, Parcoursup les projette dans un horizon temporel plus diffus et moins borné. Les concepteurs de la plateforme ont fait ce choix pour lutter contre l'autocensure des candidats en faisant l'hypothèse que ceux-ci oseraient présenter davantage de candidatures s'ils n'avaient plus à se soucier de l'ordre dans lesquelles ils les formulaient, leur supprimant le risque d'être automatiquement démissionnaire d'un vœu qu'ils auraient in fine préféré.

En effet, les préférences des candidats changent parfois en cours de route : soit leurs choix évoluent, soit ils réévaluent leurs probabilités d'admission, ou bien ils découvrent l'accès à d'autres informations, etc. Lors de la session 2022, un décret a de nouveau officialisé la hiérarchisation des vœux sur Parcoursup, sans toutefois que tous les élèves ne soient concernés. Seuls les candidats en phase complémentaire qui n'avaient pas reçu de réponse positive au 15 juillet 2022 ont dû hiérarchiser les vœux.

Ce rétropédalage est-il salutaire ? Certes, la lenteur de la procédure est un de ses défauts majeurs, mais elle ne résume pas l'ensemble des problèmes mis en exergue par les études qui lui sont consacrées. S'il est indéniablement bénéfique pour les candidats d'être plus rapidement fixé sur leur avenir afin de disposer d'un temps supplémentaire pour s'inscrire et se loger, il reste que la critique de Parcoursup dénonce également son manque de transparence, de continuité et de justice. En cela, bon nombre de responsables politiques et syndicaux estiment qu'un investissement en places d'étudiants ainsi qu'en postes d'enseignants auraient été préférable à une généralisation de la sélection à l'ensemble des licences alors que le tirage au sort ne concernait pourtant qu'une infime minorité de bacheliers.

Au-delà de la sélection, se pose la question de ses modalités. Le secret des délibérations garanti par l'article L. 612-3 du code de l'éducation oblige certes à fournir des éléments aux candidats désireux d'en savoir davantage sur les critères ayant servi à les classer. Des garanties supplémentaires de transparence et d'éthique pourraient cependant être proposées afin de transmettre systématiquement au candidat des données, par exemple sous forme de barème, décrivant a posteriori la valeur précisément donnée par la commission à chaque pièce fournie sur Parcoursup. Ceci serait plus lisible que les indications ajoutées pour la session 2023 ("Essentiel", "Important", "Complémentaire" etc.), qui permettent certes la sélection plus prédictive si l'on veut bien mettre de côté le fait que rien n'empêche les commissions de sélectionner sur la base d'autres critères que ceux affichés.

Cette dynamique pourrait simplement être renforcée en garantissant la présence d'élus étudiants dans les commissions d'examen des vœux (CEV). Plus encore, redonner une cohérence dans la transition du secondaire au supérieur pourrait passer par la présence d'enseignants du secondaire dans les CEV. Ces enseignants seraient capables de fournir aux "sélectionneurs" des éléments d'interprétation de certains points, notamment la fiche avenir remplie par les professeurs principaux, souvent énigmatique pour les enseignants-chercheurs siégeant dans les CEV. En définitive, ces propositions ne peuvent pas être mises en œuvre en l'état actuel des choses tant elles impliquent de revoir catégoriquement les budgets de l'Éducation nationale, de l'enseignement supérieur et de la recherche. Et pour cause : elles obligent à un recrutement massif d'enseignants ainsi qu'une réévaluation des moyens techniques et financiers déployés.

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