« La culture vit une grave pénurie de personnel » : entretien avec le metteur en scène Arnaud Meunier

Arnaud Meunier a fondé la Compagnie de la Mauvaise Graine en 1998. Il a dirigé la Comédie de Saint-Etienne avant de prendre la tête de la Maison de la Culture de Grenoble.

Arnaud Meunier a fondé la Compagnie de la Mauvaise Graine en 1998. Il a dirigé la Comédie de Saint-Etienne avant de prendre la tête de la Maison de la Culture de Grenoble.  PASCALE CHOLETTE

Entretien  A la tête de la Maison de la Culture de Grenoble, Arnaud Meunier ne craint pas de parler « management » et « ressources humaines » afin de rendre attractif un secteur culturel à la peine. Une thématique qui est justement celle du cycle de conférences « Diriger autrement dans la culture ? » animé par « l’Obs », en partenariat avec l’Afdas et avec le soutien du ministère de la Culture.

Il est à la fois un artiste célébré et l’une des têtes pensantes les plus reconnues d’une institution culturelle française, en l’occurrence, la mythique Maison de la Culture de Grenoble, la MC2, soit la plus grosse scène nationale (22 000 mètres carrés pour 4 salles de spectacle et 3 salles de répétitions). Arnaud Meunier a travaillé comme metteur en scène avec Stanislas Nordey, Catherine Hiegel ou Philippe Torreton, mais il est aussi passé par Sciences-Po Bordeaux. Il appartient donc à une génération de cadres du monde de la culture qui ne craignent pas d’employer des vocables encore tabous, comme « management », « ressources humaines » et même « entreprise ».

Il sera l’une des voix du cycle de conférences « Diriger autrement dans la culture ? » que « l’Obs » organise en partenariat avec l’Afdas, l’opérateur de compétences du secteur de la culture, et dont la première, « Demain, manager (tous) les talents », aura lieu le 9 juin (inscriptions ici).

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Vous êtes connu pour votre capacité à redonner de l’énergie à des structures culturelles mal en point – vous avez notamment métamorphosé la Comédie de Saint-Etienne entre 2011 et 2021. Aujourd’hui, vous dirigez la Maison de la Culture de Grenoble (MC2), qualifiée d’« institution test » par le ministère. Qu’est-ce que vous y « testez » au juste ?

Arnaud Meunier Nous essayons, modestement, d’incarner une triple révolution dans le secteur de la culture. Il s’agit d’abord de développer une vraie politique de ressources humaines [RH], comme dans toute entreprise. Nos métiers sont des « métiers passion », mais par le passé, ce qualificatif a pu cacher une gestion des RH au fil de l’eau, dont les résultats étaient quelquefois désastreux. Ce n’est plus acceptable. La deuxième révolution consiste à comprendre les nouvelles valeurs de notre société, plus tournées vers l’égalité femmes-hommes, la diversité, la responsabilité environnementale, l’inclusion… La troisième consiste à faire évoluer notre modèle économique. Tout a changé dans nos métiers, il faut bien en avoir conscience.

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Qu’est-ce qui a changé, concrètement ?

Quand vous recrutez des personnes aujourd’hui, elles se montrent très attentives à la qualité de vie au travail, réclament des horaires décents, des possibilités de télétravail, sont vigilantes sur la manière dont on s’adresse à elles, sur les risques de violences sexistes et sexuelles… Il est loin le temps où, à la fin des années 1990, je me défonçais comme un fou dans des stages et où je ne songeais pas à demander à être rémunéré ! C’est un progrès indéniable. Notre secteur a besoin d’embaucher des responsables des ressources humaines compétents : on ne peut plus confier cette tâche à un administrateur qui gère les budgets, la comptabilité, les paies et qui n’a donc ni le temps ni les compétences pour les RH. Mais il faut un peu de temps pour que ce soit compris…

Qu’est-ce que vous entendez par là ?

Quand j’ai organisé un séminaire avec un expert qui utilise des méthodes ou des vocables inhabituels dans notre secteur, j’ai pu entendre : « On n’est pas chez Orange, ni chez Amazon. » Le terme même de « management » peut susciter de la crainte, par méconnaissance de ce qu’il recouvre. Il y a cette idée qu’« avant, on travaillait à la bonne franquette » – une expression que j’ai entendue. On oublie un peu vite qu’un grand nombre de cadres de direction expérimentés ont quitté le secteur de la culture après le Covid…

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Qu’est-ce que le Covid a provoqué ?

Le ministère de la Culture a récemment publié une étude : nous sommes le deuxième secteur à avoir été le plus impacté, après celui de la santé. D’un côté, l’exécutif a eu le courage de continuer à verser des subventions alors que les spectacles n’étaient pas joués, a soutenu les intermittents du spectacle – je salue cette exception mondiale. Mais de l’autre, quel traumatisme d’avoir été considérés comme « non-essentiels »  ! Pardonnez l’expression, mais cela a été un putain d’uppercut ! Cela a engendré une crise profonde du sens de nos missions et, par ricochet, de nos motivations. Par ailleurs, comme pour beaucoup de gens, les cadres du secteur culturel ont découvert, au cours du confinement, qu’ils appréciaient de voir davantage leurs familles, qu’ils pourraient travailler un peu moins comme des furieux pour des salaires un peu meilleurs… Leur suggérer qu’ils n’étaient pas « essentiels » a achevé de les convaincre de se recentrer sur leur propre bien-être et d’aller offrir leurs compétences à d’autres secteurs, de faire du consulting, de la mission. De fait, nous vivons une grave pénurie de personnel, avec des métiers en tension comme dans l’Education nationale ou la restauration. Et l’inflation n’arrange rien : l’énergie, les matières premières pour nos décors, le papier pour les programmes… Or, les subventions de fonctionnement n’ont pas été mises à jour depuis trop longtemps.

Réclamez-vous qu’elles augmentent ?

Le soutien public est indispensable, mais le temps est révolu où il suffisait de se rendre rue de Valois [au ministère de la Culture] et de taper du poing pour repartir avec des subventions. Le métier de directeur est en train de se transformer dans la recherche de fonds, publics mais aussi privés. Il se rapproche davantage de ce que font nos collègues européens, du fund-raising [collecte de fonds]. Cela ne m’effraie pas si nous restons alignés avec nos missions. A Grenoble, nous venons par exemple de nous porter candidats pour un plan d’investissement d’avenir porté par la Caisse des Dépôts et Consignations autour de nouveaux récits pour la jeunesse, mêlant le spectacle vivant et les arts numériques. C’est ce qui nous permettra, à la MC2, de continuer à proposer des places à 5 ou 10 euros pour les familles les plus modestes, le public en situation de handicap et pour les moins de 30 ans. Le sens profond de mon travail n’est pas de céder aux dernières modes managériales, mais de comprendre les évolutions de notre société, et de nous y adapter en souplesse pour continuer, justement, à être ce que nous sommes.

Diriger autrement dans la culture ?

Voilà plusieurs années que les institutions culturelles françaises, publiques comme privées, affrontent des difficultés de recrutement, un turnover important, voire des pénuries dans certains champs de compétences. Comment expliquer cette désaffection ? De fait, beaucoup de structures se sentent démunies face aux charges administratives et financières qui pèsent sur elles, mais aussi, et c’est plus récent, face aux attentes nouvelles des jeunes générations (besoin d’une organisation plus encadrante, d’un management plus assumé, donc davantage à l’écoute, d’une évolution des carrières plus claire…). Comment répandre, dans ces institutions si essentielles, une culture managériale, attirer, retenir et faire grandir les talents ? Comment conjuguer liberté de créations et normes managériales ? « L’Obs » et l’Afdas sont heureux de s’associer pour un cycle de quatre conférences dédiées la question critique et cruciale, du management dans la culture.

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