La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher à l'Elysée, le 8 février 2023

La ministre de la Transition énergétique Agnès Pannier-Runacher à l'Elysée, le 8 février 2023

afp.com/Geoffroy VAN DER HASSELT

Elle est sur tous les fronts : bataille à Bruxelles, verdissement de l’économie, sobriété énergétique, sauvetage d’EDF, relance d’un nouveau programme nucléaire… Agnès Pannier-Runacher, la ministre de la Transition énergétique, qui vient d’officialiser la création d’un club d’une quinzaine de pays pronucléaire en Europe, se rêve en chef de file de la filière atome sur le continent. Mais pour cela, il faudra d’abord redorer l’image de l’EPR. A L’Express, elle répond aux critiques sur la lenteur française, les enjeux du secteur et éclaircit le calendrier de la prolongation de la durée de vie du parc actuel. Interview.

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L'Express : Notre dossier met en lumière les nombreux freins dont souffre encore la filière nucléaire française. Un an et demi après le discours de Belfort, où en est véritablement la relance ?

Agnès Pannier-Runacher : Je suis rentrée au gouvernement en octobre 2018, au moment où le président de la République a commandé à EDF une étude sur un nouveau programme nucléaire, et depuis je n’ai eu de cesse de travailler à la relance de cette filière. En 2019, j’ai signé un contrat stratégique avec ses représentants précisant les objectifs et les principaux engagements des industriels et de l’Etat. En 2020, en tant que ministre chargé de l’Industrie, j’ai intégré le nucléaire dans les secteurs du plan de relance français, au même titre que la santé, l’automobile ou l’aviation. Enfin le programme France 2030 consacre un milliard d’euros pour faire émerger de nouvelles technologies nucléaires. Nous n’avons donc cessé de pousser dans le bon sens. Mais je mesure à quel point cela prend du temps pour relancer une politique nucléaire.

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La France s’apprête à construire de nouveaux réacteurs, mais qu’en est-il des fermetures ? Prévoyez-vous de fermer des centrales. Si oui, à quel horizon ?

Nous disposons aujourd’hui de 56 réacteurs construits il y a plusieurs décennies. La décision du président de la République annoncée en 2022 à Belfort est très claire : il faut les prolonger le plus longtemps possible en sûreté. Cependant, je peux d’ores et déjà vous dire qu’à un moment, il faudra fermer certaines installations parce qu’elles arriveront en fin de vie et que nous n’aurons pas d’autre choix. Le calendrier sera déterminé en lien avec l’ASN, garante de la sûreté des installations. A ce jour, EDF ne voit pas de contre-indication au prolongement de la durée de vie de nos réacteurs. Nous avons fait le choix de tirer toutes les leçons apprises de Fukushima afin d’élever le niveau de sûreté et nous préparons depuis l’année dernière la prolongation au-delà de cinquante ans.

Est-ce que l’on sort enfin de l’épisode lié à la corrosion sous contrainte ?

En 2022, les équipes d’EDF cherchaient comment traiter le sujet. Depuis, une stratégie a été trouvée, elle a été validée par l’ASN et une dizaine de réacteurs ont déjà été réparés. Nous sommes maintenant entrés dans une phase industrielle de contrôle et de réparation des réacteurs. Cela ne se fait pas du jour au lendemain mais l’impact se voit déjà sur les projections de disponibilité du parc. Pour l’hiver prochain, EDF vise d’avoir entre 10 et 25 % de puissance disponible supplémentaire par rapport à l’année dernière.

L’hiver prochain se passera donc sans encombre ?

Attention, les risques sur le gaz sont indépendants de ce qui se passe chez EDF. Néanmoins, nous avons pris nos précautions. Nous sommes en avance par rapport à l’année dernière pour le remplissage de nos stockages. L’Europe possède également des réserves bien fournies, et nous disposons d’un nouveau terminal flottant prêt à accueillir du gaz naturel liquéfié. Nos partenaires comme la Norvège ont par ailleurs augmenté leurs capacités de production.

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La production nucléaire reste tout de même à un bas niveau par rapport aux années précédentes. Ce déficit de puissance va-t-il durer longtemps ?

Pour cette année, nous avons des prévisions d’EDF plus favorables que pour l’année dernière. Mais vous avez raison, l’enjeu à plus long terme, c’est d’augmenter la puissance pour être capable de faire face à une consommation plus élevée. Fait intéressant, nous produisons 15 % de plus d’électricité d’origine éolienne par rapport à l’année dernière à la même période. Nous avons sécurisé davantage nos interconnexions en passant un accord de solidarité avec l’Allemagne. Tous ces éléments-là viendront contribuer à notre offre d’énergie mais, pour passer un point froid de l’hiver, il faudra aussi compter sur la sobriété. Plus largement, pour atteindre la neutralité carbone, la technologie nous permettra de réduire nos consommations d’énergie, mais elle ne fera pas tout. Il va falloir modifier nos comportements. C’est tout l’enjeu d’une sobriété organisée que nous préparons avec la Première ministre.

A Bruxelles, la "partie nucléaire" de la directive sur les énergies renouvelables crée de vives tensions entre la France et l’Allemagne. Un débat apaisé est-il encore possible ?

Il y a les impressions et les faits. L’an dernier, nous avons finalisé six textes européens qui étaient loin d’être consensuels. Sur le plafonnement du prix du gaz par exemple. D’un côté, l’Espagne nous disait qu’au-dessus de 100, elle ne signerait pas et, de l’autre, l’Allemagne ne voulait pas d’un prix en dessous de 250. Finalement, un compromis a été trouvé à l’initiative de la France et sous la présidence tchèque. Alors effectivement, les discussions peuvent être animées et donner lieu à de la surenchère, mais nous n’avons jamais autant avancé.

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Autre exemple de coopération, l’alliance autour du nucléaire civil. J’ai réuni 15 Etats membres favorables à l’atome dont sept sont en train de relancer la construction de réacteurs. Et nous aurons peut-être de nouveaux membres bientôt. Ces pays-là ne se disent pas uniquement qu’ils vont faire quelques petits réacteurs modulaires [NDLR : des SMR, pour Small modular reactor], en 2035, ils comptent lancer la construction de nouveaux réacteurs de forte puissance dans les mois qui viennent. Dans ce marché, la technologie EPR est leader en Europe : EDF doit construire quatre réacteurs au Royaume-Uni qui s’ajouteront au réacteur finlandais mis en service il y a plusieurs semaines et au futur EPR de Flamanville. Aucun autre acteur ne peut se prévaloir d’avoir construit un réacteur en Europe ces dernières années.

En cédant son marché aux Américains, la Pologne ne met-elle pas un coup de canif à l’élan européen ?

Les Américains ne peuvent pas fournir d’offre complètement intégrée et un projet de construction de réacteur sans implication de la filière française est peu probable C’est une réalité. Les pays de l’Est ont un vrai intérêt pour les offres d’EDF. Ils ne veulent plus dépendre de la Russie pour leur stratégie nucléaire. D’autres envisagent de retenir plusieurs options. Pour la Pologne, tout n’est pas joué.

Comment concrètement redonner une marge financière à EDF ? Très affaiblie, cette entreprise doit gérer de front la construction de nouveaux réacteurs, le grand carénage, le développement de SMR…

EDF doit rester le bras armé de l’Etat sur la politique énergétique. Sur ce point, il n’existe aucune ambiguïté et nous ne souhaitons pas prendre de mesures qui rendraient le groupe moins efficace. En fait, le premier levier, pour redresser les comptes d’EDF, c’est de produire davantage d’électricité. La production d’électricité d’origine nucléaire en 2022 était 30 % inférieure à celle réalisée en 2021. Cette chute de la production tient essentiellement à l’accumulation des retards de maintenance du fait du Covid, à la quatrième visite décennale et à la corrosion sous contrainte. Quand vous avez des coûts fixes importants, avoir une production diminuée de 30 % grève lourdement vos comptes. Actuellement, EDF met les bouchées doubles pour passer ce cap de maintenance le plus rapidement possible. EDF doit être capable de revenir rapidement au niveau de 2021 puis de retrouver les niveaux de production antérieurs. Cela représente le même volume de production que tout ce que l’on veut ajouter en matière d’énergie renouvelable d’ici à 2030. L’enjeu est donc important.

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La main-d’œuvre sera-t-elle assez nombreuse pour suivre la cadence ? La filière manque notamment de techniciens…

Il faut, je pense, nuancer les propos sur les pénuries de main-d’œuvre. Au sein de la filière photovoltaïque, nous avons effectivement de grands trous dans la raquette. Dans le nucléaire, en revanche, vous avez 220 000 personnes qui sont parmi les meilleures au monde et qui font en sorte que 60 à 70 % de notre électricité soient disponibles en permanence. Cela dit, il va nous falloir trouver de la main-d’œuvre pour honorer les carnets de commandes tout en assurant le passage de témoin avec les effectifs partant à la retraite. Nous avons 100 000 recrutements à réaliser dans les dix ans qui viennent. Sur ces effectifs, 60 000 correspondent à des métiers spécifiques liés à la filière : tuyauteur, chaudronnier, génie civil, technicien de métrologie, etc. La bonne nouvelle, c’est que nous sommes capables de dire quasiment à la dizaine près le nombre de personnes que l’on doit recruter sur chacune de ces compétences.

L’autre bonne nouvelle ? L’attractivité sur les degrés ingénieurs et techniciens supérieurs est acquise. Là où il y a deux ans, nous peinions à remplir les écoles d’ingénieurs, nous avons aujourd’hui plus de demandes que de places proposées. Il reste encore à créer un "effet waouh" sur des métiers plus industriels, notamment pour attirer les jeunes. Mais cela ne saurait tarder puisque la filière me remettra son plan d’actions détaillées dans les prochains jours.

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