Management dans la culture : « Il faut sortir de l’ère du bricolage »

Le secteur culturel souffre de ne plus savoir séduire et/ou retenir des profils dynamiques.

Le secteur culturel souffre de ne plus savoir séduire et/ou retenir des profils dynamiques. FRED HUIBAN/DALLE

Décryptage  Le milieu culturel fait face à une crise des vocations qui l’oblige à évoluer. Comment ? Tel est l’enjeu de la première conférence du cycle « Diriger autrement dans le monde de la culture ? », coorganisé par « l’Obs » et l’Afdas dans le cadre du Printemps des Comédiens.

« Il y a quinze ans, mon état d’esprit pouvait se résumer à cette phrase que mon directeur, Dominique Delorme, et moi répétions sans cesse : “Ne pas faire de management, c’est déjà faire du management.” Nous avons constaté, à nos dépens, que c’était faux… » Cyril Puig hausse les sourcils. Celui qui a été jusqu’en 2022 administrateur des Nuits de Fourvière, le festival de musique, théâtre et danse le plus ancien et le plus prestigieux de Lyon, avait cette conception, alors dominante dans le milieu culturel français, que le management est une bimbeloterie inutile. Voire nuisible. Qu’avec un peu de bon sens, d’écoute et une raisonnable capacité à manier les relations humaines, une entreprise de 550 salariés (pour la durée du festival) peut fonctionner comme sur des roulettes. Erreur.

Après une crise interne, syndicale et humaine majeure en 2018, Monsieur l’administrateur a dû revoir sa copie : « Nous avons tout mis à plat. Les gens ont été entendus, les tensions pacifiées et aujourd’hui, je crois savoir que Les Nuits de Fourvière ne connaissent aucun problème de recrutement… »

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Or, les problèmes de recrutement, Cyril Puig, devenu consultant au cabinet de conseil et formation Pogo-Développement depuis qu’il s’est retiré du festival, connaît leur importance, et l’inquiétude qu’ils suscitent dans le milieu. Pour lui, ce n’est qu’en renonçant à la méthode « zéro management », en allant vers davantage de bonne gouvernance et de professionnalisation des relations de travail, que le monde de la culture retrouvera un peu d’attractivité.

Il n’est pas le seul : notoirement, le secteur souffre de ne plus savoir séduire et/ou retenir des profils dynamiques. « Malheureusement, il n’existe pas de chiffres qui documentent la pénurie de personnel qualifié, et notamment la désaffiliation des plus jeunes, mais demandez à tous les professionnels, ils vous la confirmeront », appuie Thierry Teboul, directeur général de l’Afdas, opérateur de compétences qui, entre autres, finance la formation dans les secteurs du spectacle vivant et enregistré (théâtre, cinéma, télévision) et de l’édition. Et qui coorganise notre série de conférences « Diriger autrement dans la culture ? ».

Conférence 2049. Demain, manager (tous) les talents

Vendredi 9 juin 2023

Théâtre d’O au Domaine d’O
178, rue de la Carriérasse
34 090 Montpellier

14 heures. Accueil café
14h30. Ouverture

  • Julie Joly, directrice générale de « l’Obs »
  • Thierry Teboul, directeur général de l’Afdas
  • Jean Varela, directeur du Printemps des Comédiens

14h40. Conversation
Animée par Arnaud Gonzague, rédacteur en chef adjoint à « l’Obs »

  • Agnès Saal, haute fonctionnaire RSO, cheffe de la mission Expertise culturelle internationale au ministère de la Culture
  • Thierry Teboul, directeur général de l’Afdas

15h05. Témoignage

Vincent Cavaroc, directeur artistique de La Gaîté lyrique (Paris), directeur général et artistique de La Halle Tropisme (Montpellier)

15h15. Table ronde
Animée par Arnaud Gonzague, rédacteur en chef adjoint à « l’Obs »

  • Pascale Levet, professeure associée en ressources humaines à l’université Lyon-III
  • Arnaud Meunier, metteur en scène, directeur de la MC2 (Maison de la Culture de Grenoble – Scène nationale)
  • Jean Varela, directeur du Printemps des Comédiens

Entrée gratuite  sur réservation : https://my.weezevent.com/demain-manager-tous-les-talents

Ce n’est pas vraiment une question de rémunération. Alors quoi ? Etrange désaffection, à un moment où, précisément, les jeunes gens diplômés exigent de « donner du sens » à leur emploi. « J’en connais beaucoup qui ont une appétence pour la musique, le théâtre, mais choisissent de travailler dans des secteurs économiques plus conventionnels, regrette Thierry Teboul. Ils me disent : “Ma passion, je la vis à côté du boulot. Je ne veux pas tout mélanger.” Je pense qu’ils commettent une profonde erreur, car concilier les deux est possible et souhaitable. En même temps, c‘est au secteur de les faire changer d’avis, en faisant évoluer ses pratiques et ses promesses. »

Recrutement par cooptation

Le fait est que beaucoup d’employeurs, tout rengorgés de proposer des « métiers passions », ont eu quelque peu tendance à négliger leurs obligations basiques : horaires, entretiens annuels, évolutions de carrière… Le recrutement par cooptation (qui consiste à intégrer quelqu’un qui connaît quelqu’un qui connaît le directeur…), très répandu, n’a pas aidé à bousculer les habitudes. Cyril Puig décrit :

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« Pendant longtemps, on a placé le projet artistique, la “vision” du directeur, au centre de tout. Et c’était aux troupes de suivre, quoi qu’il arrive. Mais cette sacralité du projet, les jeunes générations ne la vivent plus avec la même intensité. Ils sont prêts à s’engager, bien sûr, mais parlent aussi de télétravail, de se mettre en 4/5e, etc. Et puis surtout, quelle que soit la qualité du projet, ils refusent absolument les mauvais comportements humains. Ce qui est tout à fait normal. »

Certaines institutions, comme l’Afdas, ont tenté de faire bouger les choses, en proposant notamment des formations au management. « Mais il s’agit le plus souvent de plaquer des cadres normatifs et réglementaires pensés pour l’industrie, qui ne peuvent évidemment fonctionner pour un environnement productif aussi singulier que celui de la culture », déplore Pascale Levet, professeure associée en ressources humaines à l’université Lyon-III, présidente de la commission études et recherches du Conseil d’orientation des conditions de travail (Coct) et directrice du bureau d’études le Nouvel Institut.

« Dans l’industrie, l’organisation est conçue autour de standards normés, la production, les postes, les objectifs, la qualité… La culture, elle, vit au rythme irrégulier de l’évènementiel, où la frontière du “qui fait quoi” est floue. Le défi est de réinventer une manière de faire ensemble, un nouvel ethos qui tienne compte de ces spécificités, sachant, naturellement, que les moyens financiers ne sont pas extensibles. »

En attendant que demain, sous l’impulsion de quelques institutions, les choses changent et que, comme le réclame Thierry Teboul, « les organismes de formation proposent enfin de nouveaux programmes, plus appropriés aux conditions de travail dans les théâtres, l’industrie du cinéma, la culture au sens large », certains essaient d’implanter d’autres manières de faire sur le terrain. C’est le cas de Cyril Puig, qui intervient aujourd’hui dans des théâtres de différentes tailles. « J’utilise une technologie inouïe : faire s’asseoir les gens autour d’une table et provoquer le dialogue ! » dit-il, en riant.

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Plus sérieusement, il prône une approche au cas par cas, où il incite chacun à inventer ce qu’il nomme un « management artisanal », selon de la spécificité du projet culturel, des équipes et la personnalité des managers. « Mais, précise-t-il, “artisanal” ne signifie pas “bricolé”. Il faut définitivement sortir de l’ère du bricolage. »

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