Les mains farfouillent dans un cabas d’hypermarché, et en extirpent l’objet ficelé dans du papier journal, enveloppé d’un morceau de drap ou calé dans une boîte de pâtée pour chat. Suspense, des dizaines de fois répété durant la journée. Du fatras sortira-t-il un trésor ? Tel est l’inoxydable espoir du commissaire-priseur Marc Labarbe, dont l’« Expertibus » sillonne les campagnes autour de Toulouse.
Son camion d’« expertises gratuites », comme il est inscrit sur ses flancs bleu marine, stationne devant la halle ancienne de Grenade (Haute-Garonne), en ce début mai. « Qui m’amène la première cochonnerie ? » L’interpellation goguenarde de Me Labarbe lance rituellement la journée. La veste de costume sombre portée sur un jean et les baskets aux pieds diffusent le même message : ce commissaire-priseur-là ne se prend pas trop au sérieux. « On ne sauve pas des vies, non plus !, résume le sexagénaire au bagou de compétition. On transforme des objets en argent pour des gens qui en ont besoin. »
Un besoin qui se fait sentir à Grenade comme partout ailleurs, ces temps-ci. Dans les deux minuscules bureaux sur roues qu’abrite le bus, Me Labarbe et son fils Julien, également commissaire-priseur, évaluent tout un bric-à-brac de bibelots, tableaux et bijoux que leurs propriétaires rêvent de voir mis aux enchères dans l’hôtel des ventes toulousain des susdits Labarbe – qui prélèvent au passage une commission de 10 % à 18 %, selon l’objet.
Fonds de tiroir
Devant les experts se posent deux oiseaux de verre ébréchés, apportés par un jeune tatoué tentant infructueusement de monnayer un cadeau de mariage de feu son père. Puis un coq en acier niché dans le panier en osier d’une dame chic, aux oreilles perlées. « C’était chez mes beaux-parents. C’est pour savoir, maintenant que les sculptures animalières ont de la valeur… » Malheureusement, celle-ci n’est pas signée par François-Xavier Lalanne, le sculpteur phare du genre. Liliane et Didier, retraités de la garde d’enfants et de la chimie, n’ont pas davantage tiré le gros lot avec ce tableau d’un petit port de pêche qu’ils bringuebalent sans protection.
Dommage, le couple l’aurait bien troqué « pour deux restaurants, en profiter un peu… ». Et Liliane, 64 ans, de poursuivre : « On arrive à un âge où on fait le tri. Les enfants ne veulent pas de tout ce qui est ancien. Maintenant, c’est Ikea, ils changent tout le temps d’appartement, de décoration. Quand on disparaîtra, ça va aller à la déchetterie… » Moins la toile a de valeur, plus Julien Labarbe déploie des trésors de diplomatie. « Elle est décorative, mettez-la au mur… C’est gentil d’être passés ! » Il montre sur son ordinateur le faible montant atteint par des objets similaires lors d’enchères antérieures. Cruelle réalité, ces appliques rococo, dorées comme à Versailles, ce paysage qui doit être bien ancien, puisqu’on l’a toujours vu accroché dans le salon, ne valent pas un kopeck. Recalés.
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