Publicité
Décryptage

La réforme des lycées professionnels se met en place au pas de charge

Les rectorats commencent à recruter les responsables des futurs bureaux des entreprises qui doivent être en place en septembre dans les lycées professionnels. Dans les salles des profs, les discussions restent vives sur le sujet brûlant des missions supplémentaires, qui ne sera pas tranché d'ici à la fin de cette année scolaire.

La ministre Carole Grandjean, le 7 juin, au Palais de la Porte Dorée, à Paris.
La ministre Carole Grandjean, le 7 juin, au Palais de la Porte Dorée, à Paris. (Marie-Christine Corbier)

Par Marie-Christine Corbier

Publié le 9 juin 2023 à 17:48Mis à jour le 12 juin 2023 à 10:32

C'est le coup d'envoi de la réforme des lycées professionnels, dévoilée par Emmanuel Macron il y a à peine plus d'un mois. L'Education nationale vient de publier le premier texte, celui qui permet aux rectorats de recruter les responsables des nouveaux bureaux des entreprises pour septembre prochain.

Dans certaines académies, comme à Créteil, les consignes sont claires : « Je veux des gens qui connaissent le monde de l'entreprise, auxquels on va apprendre le monde de l'Education nationale, et qui feront l'interface entre les deux », confie le recteur, Daniel Auverlot. Cette « structure parallèle » inquiète certains directeurs délégués aux formations professionnelles et technologiques (DDFPT), chargés aujourd'hui de coordonner les filières professionnelles dans les établissements. Le SNPDEN, principal syndicat de proviseurs, y voit, lui, un « renfort de moyens ».

Un « pacte » contesté

L'autre sujet « brûlant » concerne le « pacte », cet ensemble de missions supplémentaires proposé aux enseignants volontaires. Cette question plonge les salles des profs dans « le désarroi » et « déchire » les équipes, témoignent enseignants et proviseurs.

Publicité

Au-delà des différends sur le « travailler plus pour gagner plus », les interrogations se focalisent sur son contenu - un ensemble insécable de six missions. Pas question, comme dans la voie générale, d'avoir le choix de prendre une, deux ou trois missions . Pour bénéficier des 7.500 euros bruts annuels supplémentaires liés au « pacte », il faudra s'engager sur six missions et faire tout à la fois du remplacement de courte durée (18 heures par an), trois autres missions face aux élèves (prendre en charge des petits groupes, enseigner une option, intervenir auprès des collégiens sur la découverte des métiers (72 heures par an) et deux autres missions dites « forfaitaires » (tutorat, prise en charge du décrochage, accompagnement des élèves avec les acteurs de l'emploi…)

« On nous demande de devenir des VRP de nos établissements, avec un ensemble de tâches qui n'ont rien à voir avec notre coeur de métier », a dénoncé Catherine Prinz, de la CGT Educ'action, la semaine dernière, lors d'une audition à l'Assemblée.

Les chefs d'établissement préparent des emplois du temps qu'il faudra revoir à la rentrée, quand ils sauront combien d'enseignants auront signé le pacte.

Les chefs d'établissement préparent des emplois du temps qu'il faudra revoir à la rentrée, quand ils sauront combien d'enseignants auront signé le pacte.Clement Tissot/SIPA

« Les enseignants sont très méfiants, confirme Laurence Colin, en charge des lycées professionnels au SNPDEN. Ces six parts non sécables risquent de fusiller le dispositif. S'il n'est pas sécable, il n'est pas pilotable. »

« Précipitation »

Dans une lettre ouverte au président de la République, le syndicat de proviseurs ID-FO déplore la « précipitation » de la mise en oeuvre et réclame « un moratoire » sur le pacte, d'autant que les textes officiels ne sont toujours pas publiés. « Ce qui pose problème, c'est le remplacement de longue durée et il n'en est question nulle part », pointe Valérie Kroës, secrétaire générale adjointe du syndicat.

A quelques semaines de la fin de l'année scolaire, les chefs d'établissement préparent donc des emplois du temps qu'il faudra revoir à la rentrée, quand ils sauront combien d'enseignants auront signé le « pacte ».

L'accepter reviendrait à payer l'heure de remplacement à 69 euros au lieu des 37 euros actuels, calculent certains professeurs. Mais à condition d'accepter tout le reste, et donc de passer plus de temps dans l'établissement. Pourront-ils encore bénéficier d'heures supplémentaires sans signer le pacte ? Ce sera possible l'an prochain, mais après ?

« Un 13e et un 14e mois de salaire »

L'écart est déjà vertigineux entre les moyens actuels dédiés aux heures supplémentaires et le montant des enveloppes à répartir au titre du « pacte », qui se chiffrent en centaines de milliers d'euros. De quoi créer des tensions entre les enseignants « qui vont gagner un 13e et un 14e mois de salaire et les autres », prédit Valérie Kroës.

Publicité

Le « 100 % d'insertion » réclamé par Emmanuel Macron est aussi dans toutes les têtes. « L'objectif est clair, rappelle la ministre déléguée à la Formation et l'Enseignement professionnels, Carole Grandjean : fermer, d'ici à la rentrée 2026, toutes les formations n'offrant ni perspectives d'emploi, ni possibilités suffisantes de poursuites d'études réussies. » Les syndicats redoutent « un vaste plan social », tandis que certains concepteurs de la réforme essaient de rassurer.

« Revaloriser la voie professionnelle ne peut pas se faire tant qu'on ne revalorise pas les métiers auxquels elle conduit, martèle Sigrid Gerardin, secrétaire générale du SNUEP-FSU. Si les élèves ne veulent pas aller vers les métiers en tension du nettoyage ou du bâtiment, c'est parce qu'ils ne sont pas dupes, ils ont des parents qui travaillent dans ces filières. »

« Vendre des jeans et des sneakers »

Au Palais de la Porte Dorée, à Paris, jeudi dernier, des établissements et des entreprises engagés sur des filières d'avenir se sont vu attribuer des fonds au titre du programme France 2030 , sur lequel l'exécutif compte pour accélérer l'évolution de la carte des formations. Un enseignant impliqué dans l'un de ces campus confiait : « Nous avons plein de places dans des filières dites insérantes, mais les jeunes veulent tous aller vendre des jeans et des sneakers ! »

Pour sensibiliser les collégiens aux métiers qui recrutent, l'exécutif a promis, pour septembre, de généraliser l'activité de découverte des métiers dans les collèges dès la 5e. Une mission qui reviendra notamment aux enseignants de lycées professionnels. A condition qu'ils aient signé le « pacte ».

Marie-Christine Corbier

MicrosoftTeams-image.png

Nouveau : découvrez nos offres Premium !

Vos responsabilités exigent une attention fine aux événements et rapports de force qui régissent notre monde. Vous avez besoin d’anticiper les grandes tendances pour reconnaitre, au bon moment, les opportunités à saisir et les risques à prévenir.C’est précisément la promesse de nos offres PREMIUM : vous fournir des analyses exclusives et des outils de veille sectorielle pour prendre des décisions éclairées, identifier les signaux faibles et appuyer vos partis pris. N'attendez plus, les décisions les plus déterminantes pour vos succès 2024 se prennent maintenant !
Je découvre les offres

Nos Vidéos

xx0urmq-O.jpg

SNCF : la concurrence peut-elle faire baisser les prix des billets de train ?

xqk50pr-O.jpg

Crise de l’immobilier, climat : la maison individuelle a-t-elle encore un avenir ?

x0xfrvz-O.jpg

Autoroutes : pourquoi le prix des péages augmente ? (et ce n’est pas près de s’arrêter)

Publicité